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Nous étions une petite trentaine d’auditeurs samedi 19 mars 2022, à la Grange de Lescombes. Le soleil enfin revenu et les autres manifestations eysinaises de cet après-midi expliquent sans doute ce public peu nombreux mais combien attentif !

Conférence du 19 mars 2022 « Le murier à la base de l’essor de la sériciculture. Quelques perspectives locales »  Par Jean-François Larché .
Conférence du 19 mars 2022 « Le murier à la base de l’essor de la sériciculture. Quelques perspectives locales »  Par Jean-François Larché .
Conférence du 19 mars 2022 « Le murier à la base de l’essor de la sériciculture. Quelques perspectives locales »  Par Jean-François Larché .

Notre conférencier, Jean-François Larché, a participé à des enseignements en agronomie, foresterie, viticulture et pédologie au cours de nombreuses missions ; il termine sa carrière comme chargé de mission en écologie. Sur un plan plus personnel, il a pu développer une passion pour les liens entre le végétal (les arbres en priorité) et les sociétés humaines, ce qui s’est traduit par la rédaction d’articles et de témoignages dans la presse locale et nationale. Des ouvrages et conférences complètent son travail sur les multiples aspects des liens entre l’homme et sa planète à travers le monde des plantes.

Un auditoire attentif dans la magnifique Grange de Lescombes (Photos Connaissance d’Eysines)
Un auditoire attentif dans la magnifique Grange de Lescombes (Photos Connaissance d’Eysines)

Un auditoire attentif dans la magnifique Grange de Lescombes (Photos Connaissance d’Eysines)

Dans son intervention de samedi 19 mars, Jean-François Larché a présenté les principales espèces de mûriers, leur introduction et leur culture en France, à travers la création des pépinières royales puis privées, les difficultés liées à l’élevage du vers à soie gros consommateur de feuilles de mûrier blanc. Cette grande aventure avec la double introduction d’un arbre particulier, le mûrier blanc et du vers à soie s’est concrétisée grâce à des hommes de passion, sur le plan national mais aussi sur notre sol girondin et même eysinais, puisque nos conférences doivent toujours présenter un intérêt local.

Le mûrier et les pépinières royales

Le mûrier noir (morus nigra) est connu pour avoir été cultivé vers 400 ans avant J.C, en Egypte, puis en Grèce et en Italie. C’est un arbre monoïque (portant à la fois des organes mâles et femelles séparés). Il est introduit par les Romains dans la Gaule narbonnaise, où il est utilisé essentiellement pour ses fruits au Ier siècle, puis cultivé au IVème siècle. Il se répand progressivement par voisinage à l’attention des classes aisées jusqu’au nord de la Loire pour ses fruits et secondairement son bois. L‘arrière-pays cévenol autour des villages d’Alès et d’Anduze, devient le foyer historique de la sériciculture française. Cet arbre pourrait être présent en Gironde vers le XIème siècle mais actuellement les traces de sa présence sont trop rares pour pouvoir l’affirmer.

Le murier blanc (morus alba) est introduit à la fin du XVème siècle lors du retour des seigneurs partis guerroyer dans la péninsule italienne. Il est planté exclusivement pour l’élevage des vers à soie où il remplace le murier noir car la soie obtenue est de bien meilleure qualité, ses feuilles lobées étant plus digestes.

Sous l’impulsion de l’administration de Louis XI, puis de Charles VIII, la monarchie fait des efforts constants pour instaurer la culture du mûrier blanc et dynamiser la sériciculture, notamment à la fin du règne d’Henri IV avec la caution scientifique d’Olivier de Serres.

En Aquitaine, la culture du mûrier blanc fait l’objet de propositions et d’essais dès 1722 avant de prendre son envol grâce à l’intendant Aubert de Tourny et à Claude Chatal, natif d’Alès (Gard), nommé inspecteur des pépinières royales de mûriers blancs. Si les pépinières, créées sous la Régence par le cabinet de Trudaine, vont proposer initialement un choix d’arbres destinés à orner les bords des routes en construction et d’arbustes fruitiers pour les enjeux locaux (pruneau d’Agen), elles vont rapidement s’orienter vers une production de masse de mûriers blancs pour répondre aux besoins de la sériciculture naissante.

Mûrier noir à gauche (d’après Wikipédia) et mûrier blanc à droite ( « Appareil végétatif du mûrier blanc »de Blanco Francisco Manuel Flora de Filipinas, vers 1880, d’après le diaporama de Jean-François Larché, avec son aimable autorisation)Mûrier noir à gauche (d’après Wikipédia) et mûrier blanc à droite ( « Appareil végétatif du mûrier blanc »de Blanco Francisco Manuel Flora de Filipinas, vers 1880, d’après le diaporama de Jean-François Larché, avec son aimable autorisation)

Mûrier noir à gauche (d’après Wikipédia) et mûrier blanc à droite ( « Appareil végétatif du mûrier blanc »de Blanco Francisco Manuel Flora de Filipinas, vers 1880, d’après le diaporama de Jean-François Larché, avec son aimable autorisation)

Le ver à soie

Le ver à soie (bombyx mori) est un papillon qui, après fécondation, va fournir entre 300 et 700 œufs. La petite chenille est appelée ver à soie. Elle mesure 3 mm et pèse 5 mg. En 30 jours, elle va atteindre 8 à 9 cm et 9 grammes. Chaque stade de son développement exige une qualité et une quantité de feuilles particulières distribuées toutes les cinq heures : des petites feuilles au début, plus grosses et plus nombreuses aux stades suivants. Trente grammes de « graines » de ver à soie (= une once) demandent une culture de trois hectares de mûriers et donnent soixante-treize kilos de cocons. Le cocon défilé donne de 600 à 900 mètres de fil de soie.

Les âges du vers à soie (fonds du dessin : extrait de « espeluques.over-blog.com., d’après le diaporama de Jean-François Larché avec son aimable autorisation)

Les âges du vers à soie (fonds du dessin : extrait de « espeluques.over-blog.com., d’après le diaporama de Jean-François Larché avec son aimable autorisation)

La sériciculture 

Elle est connue depuis 4000 ans avant JC en Chine et sans doute dans le sud asiatique (vallée de l’Indus) son origine reste longtemps légendaire pour les Occidentaux jusqu’à ce que le secret soit dévoilé par des moines qui ramènent, vers 552, des œufs du vers à soie à la cour de Justinien, empereur romain d’Orient et de là sa propagation se fait dans le bassin méditerranéen jusqu’en Italie et Espagne.

Au XIIIème siècle dans les Cévennes, la sériciculture est associée au murier noir jusqu’à l’introduction du mûrier blanc par le commerce avec les royaumes de la péninsule italienne à la fin du XVème siècle. L’introduction de nouvelles techniques et l’apport de spécialistes transalpins vont faciliter le développement de l’industrie de la soie dans le sud de la France, le couloir rhodanien et la vallée de la Loire. En 1546, les premières filatures sont présentes à Lyon, Montpellier, Paris et Tours.

Sous le règne de Louis XIV, Colbert pratique une politique d’encouragement de la sériciculture mise à mal par la suppression de l’Edit de Nantes qui provoque le départ de nombreuses familles protestantes, pratiquant la sériciculture. De 1715 à 1723, la sériciculture se développe en France.

Exemple de claie et d’encabanage (sériciculture et élevage des vers à soie, une tradition en Ardèche ; FR3 Auvergne-Rhônes-Alpes). Sécrétion du cocon par des vers à soie (archives Larousse ; dessin de Patrick Morin). (D’après le diaporama de Jean-François Larché avec son aimable autorisation)

Exemple de claie et d’encabanage (sériciculture et élevage des vers à soie, une tradition en Ardèche ; FR3 Auvergne-Rhônes-Alpes). Sécrétion du cocon par des vers à soie (archives Larousse ; dessin de Patrick Morin). (D’après le diaporama de Jean-François Larché avec son aimable autorisation)

Les magnaneries : ces espaces consacrés à la culture du ver à soie nécessitent une température stable, une bonne aération et l’aménagement de claies. La réussite de l’éducation du ver à soie passe par une alimentation constante en feuilles proportionnées au stade des chenilles. Les deux derniers stades demandent de grosses quantités de feuilles fraîches, un nettoyage quotidien de la magnanerie et l’aménagement des claies pour favoriser la mue finale de la chenille (encabanage). A ce stade, l’animal grimpe dans la végétation qui orne la claie et s’installe pour produire son cocon. C’est de la qualité de l’alimentation, de sa régularité et surtout de l’évacuation des déchets de la consommation des feuilles que réside la réussite de cet élevage particulier.

La sériciculture en Gironde : entre 1737 et 1760, la sériciculture connait un premier essor. Les sociétés savantes s’y intéressent et contribuent à cet essor en proposant des garanties pour les productions. Le provençal Claude Chatal finance les premiers essais de vers à soie et de mûriers blancs dès 1722. L’administration suit ses conseils et les pépinières vont produire des quantités de mûriers blancs à partir des années 1735. La coopération entre Chatal et les intendants (Boucher, Tourny, Boutin) à Bordeaux vont accélérer le développement des plantations de mûriers blancs et les premières éducations de vers à soie.

L’âge d’or de la sériciculture en Gironde : Un nouvel essor se produit entre 1830 et 1860. Une société de Sériciculture voit le jour, elle encourage et récompense les éducateurs. Cette industrie semble présenter un intérêt financier qui pourrait apporter un complément aux cultures de vigne, de céréales, de chanvre et de lin. (Les vignes sont atteintes vers 1870 par le mildiou puis le phylloxéra). On assiste aussi à une spécialisation : certains cultivent les muriers et fournissent donc les feuilles et d’autres créent des magnaneries pour produite du cocon. Le filage, lui, n’est que peu tenté en Gironde. En 1841-1842, 3 300 kg de cocons sont produits en Gironde sur 17 500 kg en France. La sériciculture concurrence alors les surfaces en vignes et en céréales !

Le déclin de la sériciculture en Gironde : après avoir arraché de la vigne pour des plantations de mûriers, on va déchanter.

Le manque de feuilles et de main d’œuvre pour les ramasser, de plants greffés et surtout le coût de la main-d’œuvre et la faiblesse de la filière vont pousser à produire plus, au détriment de la qualité. Dès 1855, le manque de salubrité dans les élevages (insuffisances dans l’évacuation des déchets de repas, non-suppression des vers mal portants) mais aussi le manque de soins apportés aux cultures de mûriers va provoquer des maladies (pébrine, flacherie). Malgré la démonstration d’Elie Gentrac (propriétaire d’une magnanerie dans son domaine d’Arlac à Mérignac) en faveur de l’élevage en plein air, le déclin est rapide en Gironde mais également en France. Pour fabriquer un kilo de soie, il faut douze kilos de cocons. Un kilo de soie se vend soixante à soixante-dix francs, mais c’est le coût de l’éducation… De plus, en Gironde, aucune volonté de développer des filatures industrielles ne s’est manifestée. La filature la plus proche se situe à Montauban. Très vite, un monopole s’est établi et le faible soutien des pouvoirs publics n’a pu le contrecarrer.

En Gironde, la soie va progressivement disparaître à partir de 1865 et en 1882 il n’y a plus de production de cocons.

La Maison Carrée d’Arlac, lieu des travaux d’Elie Gintrac (image de Jean-François Larché, d’après son diaporama avec son aimable autorisation)

La Maison Carrée d’Arlac, lieu des travaux d’Elie Gintrac (image de Jean-François Larché, d’après son diaporama avec son aimable autorisation)

De plus, les soies produites sont trop chères. Pour fabriquer un kilo de soie, il faut douze kilos de cocons. Un kilo de soie se vend soixante à soixante-dix francs, mais c’est le coût de l’éducation… De plus, en Gironde, aucune volonté de développer des filatures industrielles ne s’est manifestée. La filature la plus proche se situe à Montauban. Très vite, un monopole s’est établi et le faible soutien des pouvoirs publics n’a pu le contrecarrer.

En Gironde, la soie va progressivement disparaître à partir de 1865 et en 1882 il n’y a plus de production de cocons.

Le déclin de la sériciculture en France : en 1853, on produit 26 millions de kilos de cocons ; en 1862, 9,7 millions de kilos et en 1865, seulement 4 millions. En 1869, le percement du canal de Suez permet une importation de soie d’Orient plus rapide et moins coûteuse. A la fin du XIXème siècle, la découverte de la viscose appelée aussi soie artificielle va conclure cette période de fabrication.

La filière séricicole à Eysines et dans les villes voisines

Les acheteurs eysinais : en 1757, MM Jean Cayre, Crozillac et à Lescombes M. Dutoya et Mme Veuve Duret achètent des mûriers et pourettes, puis en 1761 c’est le tour de MM. Pierre Durousseau, Jeantillot au Vigean, et Jude.

Liste de particuliers demandeurs de mûriers blancs, série C, Archives départementales de la Gironde, (Photos Jean-François Larché)
Liste de particuliers demandeurs de mûriers blancs, série C, Archives départementales de la Gironde, (Photos Jean-François Larché)
Liste de particuliers demandeurs de mûriers blancs, série C, Archives départementales de la Gironde, (Photos Jean-François Larché)

Liste de particuliers demandeurs de mûriers blancs, série C, Archives départementales de la Gironde, (Photos Jean-François Larché)

Les plantations de mûriers à Eysines entre 1830 et 1844 : cinq parcelles consacrées aux mûriers couvrent une surface de 1ha 65 a 5ca : 55,30 ares, à La Fontaine (Cantinolle au Bourg) chez M. René Lemotheux ; 53,95 ares chez Mme Caperon née Tanaïs, à la Luzerne au Haillan ; 29,90 ares chez M. Joseph Lafargue, à Lescure à La Forêt ; 21,90 ares chez M. Malineau Nicolas, à château Lescombes; 4,70 ares chez M. Jules Dumas, à Fourat au Vigean. En 1847, le comité d’experts de la société de sériciculture de Bordeaux décerne à Mme Caperon une médaille d’argent pour la réussite de ses cocons : « Nous sommes arrivés chez cette dame au moment où les vers montaient sur les bruyères avec une vitesse extrême. L'encabanage avait eu lieu la veille et la majeure partie des vers formaient déjà le cocon. Nous n'en avons pas aperçu de mauvais ».

Situation de parcelles plantées en mûriers,d’après le cadastre de 1844(Connaissance d’Eysines)
Situation de parcelles plantées en mûriers,d’après le cadastre de 1844(Connaissance d’Eysines)

Situation de parcelles plantées en mûriers,d’après le cadastre de 1844(Connaissance d’Eysines)

Les plantations de mûriers entre 1840 et 1860, à proximité d’Eysines : à Blanquefort chez MM. Ginoulhac et Matha, à Gradignan chez M.Baron, à Villenave- d’Ornon  chez M.de Fontainieu avec 3 hectares, à Bruges  chez M. Morin avec10 000 arbres et chez M.Bresson sur 4.5  hectares et au domaine Lafon-Féline (Le Bouscat/Bruges) avec 15 000 arbres,

Les magnaneries et éducateurs-éducatrices entre 1840 et 1860, à proximité d’Eysines : à Mérignac, Mme Gintrac et Elisabeth Feydieu et au château de Séguinaud; à Bruges chez MM. Bresson et Lafon-Féline; à Villenave-d’Ornon chez MM.Fabre, Labat; au Bouscat Emilie Rochegude et  Mme Fravrier; à Blanquefort MM. Ginouilhac et Andron, Sophie Gay; à  Caudéran M. Fauchard.

Les filatures, fileuses-fileurs entre 1840 et 1860, à proximité d’Eysines : à Bruges, Honorine Grenier, Elisabeth Demande et Louise Peyres chez Bresson, Adèle Guillet, à Blanquefort, Louise Maisonnas chez Ginouilhac, au Bouscat Désiré Daniel.

Les pépinières privées : Catros-Gérand à Talence et à Eysines (Le Haillan), Ivoy au Pian Médoc, Travier au Taillan, Peyres à Bruges, Escarpit et Fischer à Caudéran.

Présentation de la conférence dans la grange du château Lescombes (Photo Connaissance d’Eysines).

Présentation de la conférence dans la grange du château Lescombes (Photo Connaissance d’Eysines).

Pendant une heure et trente minutes, Jean-François Larché a donc développé ces trois aspects étroitement liés : la plantation des mûriers fournis par les pépinières, l'élevage ou éducation des vers à soie et enfin la production de soie... Des auditeurs ont posé quelques questions qui ont permis de préciser certains points. Tous ont souligné l'intérêt de cette présentation qui nous a fait connaître une activité dont nous ne soupçonnions pas l'importance et même peut-être l'existence à Eysines et dans les communes alentour !

Enfin, nous avons terminé par un moment de convivialité en partageant le verre de l'amitié.

Jean-François Larché, Marie-Hélène Guillemet, Elisabeth Roux.

Tag(s) : #conférences
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