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Toutes les photos sont de Connaissance d’Eysines

Nous étions plus de soixante personnes samedi 11 mars 2023, à la Grange de Lescombes, pour écouter Pierre Brana. Ancien maire de notre commune de 1977 à 2008, Pierre Brana a exercé de nombreux autres mandats au niveau local et national. Il se consacre désormais à l’écriture et co-écriture de nombreux ouvrages d’histoire contemporaine et au Centre d’Art Contemporain qu’il a créé.

Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana
Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana
Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana

Dès son élection en 1977, Pierre Brana s’est intéressé à l’histoire d’Eysines. On lui a alors parlé d’un camp ayant hébergé des Annamites après la seconde guerre mondiale. Ce camp aurait aussi servi durant l’occupation allemande pour des prisonniers de guerre coloniaux qui construisaient les bunkers au nord de Bordeaux. Mais jamais personne n’a alors évoqué l’existence d’un camp de femmes. C’est par la suite dans diverses sources documentaires étudiées aux archives que M. Brana a appris que ce camp avait aussi servi de camp d’internement pour des femmes accusées de collaboration avec l’ennemi, ce que certains anciens eysinais lui ont alors confirmé.

Au début de la guerre, le Service des Réfugiés et Sinistrés prend la décision d’héberger les habitants des départements menacés d’être envahis, la Gironde devant accueillir les habitants de Moselle. Le commandement militaire régional réquisitionne alors des terrains vacants d’après une liste envoyée par les maires des communes.

Recherches Connaissance d’Eysines aux archives municipales : un terrain regroupant deux parcelles au Bourg (A 438 de 67,60 ares appartenant à M. Toulouse et A 431 de 42,35 ares à M. Lafon)  est réquisisionné. Ces parcelles sont situées entre la rue du Vignan et la rue du Dées, non loin du cimetière du Bourg. En 1939, vingt et un baraquements sont construits.

Pendant l’occupation, les Allemands utilisent ce camp pour loger des prisonniers de guerre appartenant aux troupes coloniales comme à Caupian (Saint-Médard-en-Jalles) où est détenu Léopold Sedar Senghor.

Bordeaux est libéré le 28 août 1944, les allemands partent, les FFI occupent toute la Gironde sauf le Nord du Médoc.

Après la Libération de Bordeaux, le 28 août 1944, une vague d’épuration se déroule en Gironde comme dans toute la France. De nouvelles autorités sont mises en place. En 1945, des élections municipales ont lieu pour remplacer les maires qui avaient été nommés par le gouvernement de Vichy. Un commissaire de la République a été mis en place dès la Libération, chapeautant les nouveaux préfets remplaçant ceux nommés par Vichy. Le commissariat ainsi que de nombreuses instances reçoivent de très nombreuses lettres de dénonciation. A Bordeaux, Gaston Cusin qui occupe ce poste veut éviter les règlements de compte. Le commandement militaire fait preuve de la même prudence et ne retient pas les dénonciations anonymes. On crée alors des camps d’internement administratif. Ces camps doivent recevoir « tout individu dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique ». En Gironde, un camp d’internement administratif est établi à Beaudésert à Mérignac. Mais l’archevêque s’insurge contre la promiscuité des hommes et des femmes. Le 12 octobre 1944, le camp d’Eysines devient le camp d’internement administratif des femmes accusées de collaboration.

Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana

Il nous faut rappeler ici la procédure durant laquelle les accusées sont détenues dans le camp d’Eysines. Elles sont d’abord interrogées, à la suite de cela certaines sont relâchées, les autres sont présentées devant un tribunal. Là, elles sont soit acquittées soit jugées pour délit d’indignité nationale et condamnées à la dégradation nationale. D’autres sont condamnées à l’emprisonnement et même à la peine de mort, mais ces cas les plus graves ne viennent pas généralement à Eysines.

Le camp d’Eysines est facilement accessible par le train et le tram, tous les deux à proximité de la place du IV septembre ; il ne reste ensuite qu’à parcourir la Grand’Rue et la rue de la Marne. Dix-sept baraquements divisés en sept chambres de cinq lits accueillent les femmes. Les chambres mesurent 5m par 2,90 m, un couloir de 80 cm les dessert et un espace de 5 m2 est collectif. Les lits sont équipés d’un matelas ou une paillasse et deux couvertures. Il y a deux poêles par baraquement. Trois baraquements servent pour l’administration (bureaux et logement des gardiens), un baraquement est consacré à l’infirmerie et accueille aussi la pouponnière pour les bébés nés sur place. La garde du camp est assurée par vingt tirailleurs algériens. Le camp est entouré de fils barbelés et des miradors sont élevés aux angles. On peut donc voir les internées lorsqu’elles sont dehors, ce qui attire des curieux mais aussi des proches des internées qui leur font passer des colis. Des tensions sont palpables à certains moments entre ces deux groupes.

Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana
Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana
Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana
Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana

La correspondance d’une détenue à son ami découverte aux archives permet de préciser les conditions de vie dans le camp. Elle récupère le plus petit morceau de papier pour écrire et demander fourchette, timbale, serviette, couvre-pieds, etc… Au camp, tout est payant dit-elle et elle ne possède pas grand-chose. Le 20 mars 45, elle écrit « je vis aux crochets de mes compagnes, je ne voudrais pas qu’elles se lassent… ». Il y avait donc de la solidarité entre les détenues. Elle est libérée le 13 juillet après avoir été acquittée.

Le 15 octobre1944, quatre cents femmes environ arrivent à Eysines. Il y en aura au maximum cinq cents. Elles ont entre 18 et 62 ans et sont issues de toutes les classes sociales. Le 16 octobre, le chef des FFI d’Eysines écrit au chef des FFI de Bordeaux et dénonce un service de garde illusoire.  Le 17 octobre, il se plaint auprès du directeur des camps que les internées ne travaillent pas, qu’elles fument et qu’il serait judicieux de les employer à tricoter et coudre pour les soldats sous la surveillance d’une veuve de fusillé. Le directeur du camp apporte des précisions au préfet : sept visites par jour, la réception d’un colis par semaine sont autorisées et ce sont des gardes civiles qui organisent la vie à l’intérieur du camp. Le 13 décembre, le préfet répond que les internées doivent avoir un régime uniforme en attendant les jugements. Le 10 mars 1945, il y a encore des détenues qui n’ont pas été interrogées, la commission de contrôle des camps d’internement de la région de Bordeaux demande que cela s’accélère. Le 5 mai, il y a encore 277 femmes qui attendent ; certaines ont été libérées et d’autres ont été jugées. Il est précisé que le ravitaillement est le même que celui de la population hormis les œufs, la triperie, la volaille, le vin et le café ersatz… Le 19 octobre, il y a encore 112 femmes, alors que Mérignac s’est vidé plus rapidement ! Le camp ferme fin décembre 1945 : il aura eu plus d’un an d’existence.

C’est alors qu’il va servir d’hébergement aux travailleurs indochinois en instance de rapatriement en Indochine. Mais le camp est alors ouvert et les Indochinois sont libres d’aller et venir.

Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana
Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana
Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana

Pendant plus d’une heure, Pierre Brana a passionné son auditoire en faisant revivre l’histoire de ce camp et de celles qui l’ont « fréquenté ».  Quelques questions ont ensuite été posées. Puis nous avons terminé par un moment de convivialité en partageant le verre de l’amitié.

Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana
Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana
Le camp d’internement d’Eysines après la Libération, par Pierre Brana

Nous remercions chaleureusement notre conférencier ainsi que tous ceux (élus, adhérents, représentants des associations amies, simples auditeurs…) qui ont partagé cet après-midi fort enrichissant dans une salle agréablement décorée par quinze aquarelles de Gilbert Sifre, adhérent et administrateur de Connaissance d’Eysines.

Marie-Hélène Guillemet, Elisabeth Roux, Marie-Christine Vitasse.

Tag(s) : #conférences
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