Nous étions une quarantaine de personnes samedi 8 mars 2025, à la Grange de Lescombes, pour écouter Éric Roulet. Nous remercions Mme Marsan adjointe aux associations de nous avoir honoré de sa présence.
Nathalie et Eric Roulet sont les membres fondateurs de la compagnie Gric de Prat. Nathalie après une enfance béarnaise bercée par la langue et le chant occitan, s’est spécialisée dans la tradition orale gasconne et a enseigné en « caminaire » dans des écoles maternelles. Eric a été à la fois professeur d’occitan en lycée et de flûte en école de musique. Il est aussi musicien sur instruments traditionnels gascons et conteur.
La langue parlée autrefois dans tout le sud de la France, débordant même sur le nord de l’Espagne et le nord-ouest de l’Italie est l’occitan qui se décline en six dialectes dont le gascon.
L’histoire du gascon est liée à celle de Bordeaux, capitale du duché d’Aquitaine, où la langue gasconne est « officielle » durant tout le Moyen-Age et parlée jusqu’au XX siècle. Par exemple, lors de fouilles à l’église Saint Michel de Bordeaux un relevé de compte d’une confrérie (ancêtre des corporations des compagnons) a été trouvé, il est rédigé en langue gasconne classique comme des milliers de textes sur tous les sujets. D’autre part, ce sont les seigneurs occitans, et en particulier Guillaume d’Aquitaine, qui élaborent la poésie originelle qui met des mots sur le « sentiment amoureux ». La langue est codifiée ainsi que les partitions musicales et naissent, parmi ces grands seigneurs, les premiers troubadours. Aliénor duchesse d’Aquitaine fait rédiger en occitan les « chartes et coutumes » de l’Aquitaine. Bordeaux a alors un statut particulier, une sorte de « république » avec son Palais ducal de l’Ombrière, son armée, des ambassades et un maire élu sous l’égide du roi-duc anglais, de fait parmi les cinq grandes familles bordelaises détenant les pouvoirs. Les archevêques ont eux aussi un pouvoir non négligeable. Pey Berlan fonde l’université, le séminaire etc. Il ne se dit ni français, ni anglais mais gascon. Jusqu’à la fin du XVe siècle le gascon est donc la langue officielle en Guyenne, celle des textes mais aussi la langue parlée du peuple comme en attestent beaucoup de noms de rues bordelaises : rue du Mirail, rue Maucoudinat …
Le pouvoir royal français regarde ce duché avec crainte et Charles VII décide d’en finir avec l’Aquitaine. L’armée française vient de s’équiper d’une artillerie, c’est donc une armée moderne qui déferle en Guyenne. Les soldats bordelais ne sont que des gentilhommes sans formation militaire et peu armés. En 1450, les français infligent une première défaite, la Male Jornade dans les plaines entre Blanquefort et Le Haillan, puis va suivre la défaite de la bataille de Castillon en 1453. On parle de 8 000 (pour autant que l’on sache) morts gascons dans ces sombres années…Une frange importante de la noblesse de Guyenne est condamnée à mort et certains s’enfuient en Angleterre. Pourtant, les Bordelais continuent de parler et d’écrire en gascon jusqu’à François Ier qui en 1539 promulgue l’ordonnance de Villers-Cotterêts, imposant dans tout le royaume la langue française, ce qui marque la fin de l’occitan écrit.
Cependant, les habitudes du parler gascon demeurent surtout parmi le peuple et Montesquieu, d’après une citation qui lui est attribuée, dit qu’il pense en gascon et écrit en français… Les Aquitains demeurent attachés à leur culture et la défendent contre Paris et le royaume de France. En 1649, les nobles aquitains se révoltent une nouvelle fois lors de la Fronde et ils fondent l’Ormée que l’on peut qualifier de « République bordelaise ». Cet épisode se termine par la victoire des troupes françaises. La dernière révolte bordelaise est, durant la Révolution, celle des Girondins qui appellent à la « révolte des provinces ».
Au XVIIIe siècle, Bordeaux devient une ville cosmopolite avec l’arrivée de négociants du nord de l’Europe, les anciennes familles bordelaises s’allient avec ces nouveaux venus et on parle français à Bordeaux. Au cours du XIXe siècle cependant, le gascon qui reste encore parlé par le peuple bordelais connaît une renaissance grâce à quelques auteurs. Meste Verdier décide de renouer avec le gascon en racontant nombre d’histoires bordelaises, restées dans les mémoires populaires. Jasmin est reconnu comme un grand poète. Le félibrige fondé en Provence par F. Mistral est représenté à Bordeaux par l’abbé Bergey. Mais la IIIe République interdit les langues régionales dans les écoles : « l’école a tué le gascon ».
A Bordeaux, au XXe siècle les pouvoirs échappant peu à peu aux Bordelais de souche, le gascon s’oublie. Mais depuis quelques décennies, les jeunes retrouvent la fierté d’appartenir à leur antique cité ; dans le parler bordelais des mots typiques sont employés couramment (gavé, daille, drôle, pignada,), des calandrettes (écoles enseignantes et pratiquant le gascon) se développent et les jeunes enfants parlent à nouveau gascon…
Quelques questions et messages sont échangés sur cette culture gasconne ancrée profondément à Eysines aussi. Comme à la fin de chacune de nos conférences, les conversations se prolongent autour d’un verre et de petits plaisirs sucrés préparés par quelques bénévoles.
Eric Roulet nous a tenu en haleine pendant plus d’une heure sans jamais nous lasser, racontant avec beaucoup de passion l’histoire de Bordeaux, qu’il en soit remercié ainsi que Nathalie. Nous remercions aussi tous ceux (eysinais, adhérents de Connaissance d’Eysines et d’associations amies, simples auditeurs…) qui ont partagé avec nous cet après-midi fort enrichissant.
Note complémentaire : Concernant la période de la Fronde et l’impact de ces troubles à Eysines ,voici ce que nous avons relevé récemment dans des actes de Pierre Thomas notaire à Bordeaux en 1650 : « … la maison noble du Vigean laquelle maison, comme aussi tout le village du Vigean a été abandonné la présente année par les habitants desdits biens à cause des gens de guerre qui ont été ordinairement audit lieu, de manière que lesdits Delhomme et Poulard après la paix faite et que les gens de guerre ont été retiré, et gens de guerre avaient laissés et ont trouvé ladite maison grandement ruinée, les ferrures d’icelle et du chai toutes enlevées, comme aussi ont trouvé le puits de ladite maison comblé… ».
Photos de Michel Legros
Marie-Hélène Guillemet, Elisabeth Roux avec relecture d’Éric Roulet