Jusqu’au 9 mars 1867, le Haillan est un quartier d’Eysines au même titre que Lescombes, Le Bourg, Le Vigean , la Forêt et le Grand Louis. Les trois propriétés décrites lors de cette conférence sont situées à l’Ouest d’Eysines dans les quartiers du Haillan et de Lescombes.
Le château Bel-Air du Haillan est aujourd’hui bien connu. Cependant, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, il se nomme le bourdieu de Lanneblanque. Gilbert Sifre nous conte son histoire à partir de 1377.
Le lieu-dit la Piconerie, dans le quartier de Lescombes, limitrophe sur sa partie ouest avec le Haillan, apparait dans l’histoire eysinaise à la Révolution. Elisabeth Roux nous fait découvrir cette propriété, de cette période à aujourd’hui.
À la fin du XVIIIe siècle, Toussaint-Yves Catros, directeur de la pépinière royale de Bordeaux achète le domaine de Nauville pour y créer une nouvelle pépinière. Jean-François Larché présente cet homme qui a consacré toute sa vie aux arbres.
I- Du bourdieu de Lanneblanque à château Bel Air par Gilbert Sifre
En 1377, le bourdieu de Lanneblanque appartient à Bernard d’Albret, seigneur de Bussac et du Tyran. Bernard d'Angevin reprend la Seigneurie de Bussac et donc les terres du bourdieu de Lanneblanque puis son fils Jacques marie sa fille au très puissant Seigneur Jean de Durfort de Duras, seigneur de Blanquefort.
Jacques de Durfort vend en « terre franche » le bourdieu à Louis de Girard qui prend le titre de « seigneur du Haillan ». En 1571, Bernard de Girard, un des fils de Jacques, est chargé par le roi d’écrire l’histoire de France. C’est le premier historiographe du Royaume et aujourd’hui encore certains historiens s’y réfèrent.
La vente de Lanneblanque faite par Jacques de Durfort déclenche un procès des héritiers Durfort qui va durer quatre-vingt-dix ans. Par mariage ou donation, le bourdieu de Lanneblanque passe à la famille de La Chassaigne puis à celle de Dinemartin Dorat et enfin de Sabourin. Pour clore ce vieux procès, Joseph Dinemartin Dorat verse la somme demandée aux héritiers du seigneur de Durfort dans les années 1670.
En 1761, le bourdieu arrive par vente à Alexis Nougues, négociant en Martinique. Venu pour raisons de santé, il veut se reposer à Lanneblanque. Cependant, il décède en 1763 après avoir désigné comme légataires M et Mme Leblanc Nougues. Ils font démolir la maison de maître construite en torchis et entreprennent la construction d’un château en pierre de taille.
En 1787, Pierre Lafargue, négociant et gendre de Pierre Duret, achète Lanneblanque. Durant 33 ans, il remet en parfait état d'exploitation l'ensemble du domaine, fait construire une ferme et ses dépendances, planter des arbres dont les cèdres du Liban. Il prend grand soin des vignes et des terres. C’est aussi Pierre Lafargue qui donne le nom de Bel Air.
Lors de la vente en 1820 à Augustin Bousquet le domaine est décrit ainsi « maison de maître avec terrasse et cave, chapelle, chai, cuvier, remise et écuries, cour, logement de paysan, parc à bœufs, grange, fournier, jardin, verger, un corps de bâtiment appelé « Métairie » … Pendant 15 années, Augustin Bousquet agrandit et embellit le domaine et crée un jardin anglais alimenté par des tuyaux souterrains. Il est aussi conseiller municipal d’Eysines de 1831 à son décès en 1837.
Les ventes du domaine se poursuivent : Nicolas Darolle, Francis Antonio de Los Heros, nommé bienfaiteur du Haillan par la population, puis Joseph Prom négociant en vins, Emilien Dussaq armateur. Il fait prospérer la vigne et Château Bel Air est cru bourgeois dès la fin du XIXe siècle. Sa fille épouse Maximilien Jarousse de Sillac.
En 1963, le domaine est vendu en grande partie à la ville de Bordeaux. Le centre aéré et le domaine sportif du Haillan sont réalisés sur les terrains donnés pour le franc symbolique.
Château Bel Air : carte postale façade nord (collection Guy Michelet) et façade sud (photo de Gilbert Sifre en 2019)
La métairie, le hangar à charrettes construits par Pierre Lafargue ne sont démolis que dans les années 1980. Le château quant à lui est toujours là.
II- La Piconerie par Elisabeth Roux
Dans tous les actes notariés relevés le domaine est appelé « domaine du Caillou ». Cependant sur les cadastres nous trouvons La Roque puis la Piconerie. Le premier nom est celui du lieu-dit à Lescombes et les deux derniers ceux de deux propriétaires. Par contre le nom de la Piconerie reste même après la vente par la famille de la Piconerie.
Les parcelles de la Piconerie ont une surface de 18 ha environ. Du XIXe siècle à 1944, le bâti n’évolue que peu, il est constitué d’une seule maison en forme de U aux 3 branches sensiblement égales, mais sur le cadastre de 1937 une des deux ailes est presque inexistante.
Le bâti de la Piconerie en 1808, 1844 et 1937 (documents établis par Connaissance d’Eysines d’après les cadastres des archives départementales)
Au moment de la Révolution, ce domaine appartient à François Martin de Laroque né vers 1717. Il est le fils de Antoine Martin de Laroque, écuyer, maître particulier des Eaux et Forêts de Guyenne et de Renée Cantinolle. Le domaine est sans doute la dot de Renée, fille du sieur Cantinolle, grand propriétaire terrien de la paroisse Saint Martin d’Eysines. François Martin de Laroque, est quant à lui écuyer, chevalier de St Louis. Il épouse en 1774 à Cambes Jeanne Dirouard, fille de Pierre Stanislas bourgeois de Bordeaux, marchand de grains et d’eau de vie, juge à la Bourse de Bordeaux. Le 10 novembre 1793, d’après un dossier des archives départementales, le comité de surveillance se rend « chez Martin Laroque à Eysines comme ci-devant noble de l’œuvre de la Croix de St Louis, pour le mettre en arrestation et son épouse jusqu’à nouvel ordre ; avons fait la visite, rien trouvé de suspect, avons mis les celés sur tous les papiers ; avons laissé, à cause de son infirmité, et son épouse, dans sa maison avec 4 gardes ». Dans le même dossier son épouse incarcérée demande sa libération et raconte au sujet de son époux : « Feu citoyen François Martin Laroque mon époux et moi avons été mis en arrestation, courant frimaire dans notre maison de campagne à Eysines… détention de plusieurs mois dans cette maison avec des gardes, amenés au comité de surveillance de Bordeaux qui nous envoya au Palais Brutus … séparée de mon époux, nous fumes mis en détention. Feu Martin Laroque mon époux âgé de 76 ans, aliéné depuis plus de 2 ans, infirme et très impotent fut jugé le 7 pluviôse et condamné à mort ». François Martin de Laroque décède en détention et son épouse est libérée.
Le 18 septembre 1795, un règlement de famille entre la veuve, la sœur et d’autres personnes laisse le domaine du Caillou à Françoise Martin, la sœur de François. Le bien est affermé depuis le 6 prairial à Jean-Baptiste Dorlhiac, cousin germain côté maternel, la mère de Jean-Baptiste est Marie Anne Cantinolle .
Le 27 février 1799, Françoise Martin vend le bien à Jean-Baptiste Dorlhiac. Voici la description qui en est faite : « Un domaine situé à Caillou commune d’Eysines consistant en maison de maître, logements de vignerons, chay, cuvier, parc à bœufs, écurie et autres aisances, vigne, …pressoir, may ainsi que les autres effets qui sont dans les bâtiments … 7 cuves, 3 gargouines, 7 douils, 12 barriques…Le sieur Dorlhiac connait la propriété l’ayant tenu à titre de ferme plusieurs années ». La veuve de Jean Baptiste Dorlhiac décède en 1809 à Eysines. Leur fils, Jean-Baptiste, commis de marine, hérite mais il est en cessation de paiement et le domaine est mis en adjudication le 13 juillet 1830. M. Antoine Bastouil acquiert le bien. Il est l’époux de Madame Marie Sophie Pauline de Beausoleil, veuve en premières noces de Monsieur François Lemercier de Lécluse.
Le 24 septembre 1831, Sophie Lemercier de Lécluse, reçoit le bien en dot, lors de son mariage avec Thomas Robert Bugeaud de la Piconerie. Le 17 octobre 1846, Sophie Elisabeth Louise Lemercier de Lécluse épouse de Monsieur Thomas Robert Bugeaud de la Piconerie vend à Monsieur François Antoine de Los Héros, propriétaire de Bel Air, domaine mitoyen. La Piconerie est donc ensuite associée aux terres de Bel-Air.
Pendant la seconde guerre mondiale, l’armée allemande stocke des munitions à la Piconerie. Le 23 août 1944, avant leur départ, les allemands détruisent leur stock. Les bâtiments de la Piconerie sont anéantis, toute la forêt alentours est « décapitée », les troncs sont dénudés, décimés à 2/3 mètres de haut. En 1963, Mme Jarousse de Sillac vend les vignes et bois de la Piconerie à la ville de Bordeaux.
Pendant la seconde guerre mondiale, l’armée allemande stockent des munitions à la Piconerie. Le 23 août 1944, avant leur départ les allemands détruisent leur stock. Les bâtiments de la Piconerie sont anéantis, toute la forêt alentours est « décapitée », les troncs sont dénudés, décimés à 2/3 mètres de haut. En 1963, Mme Jarousse de Sillac vend les vignes et bois de la Piconerie à la ville de Bordeaux.
Aujourd’hui on trouve, sur l’ancien domaine, du nord au sud : en bordure de la rue de Montalieu et à l’angle de la rue du Moulineau : une partie des terrains de football des Girondins de Bordeaux, puis rue du Moulineau le lycée de la Plaine, lycée d’enseignement adapté, ensuite l’ESAT Bel Air et enfin l’entrée du Centre de Cultures mutualisé de Bordeaux Métropole.
III- Toussaint-Yves Catros, une vie pour les arbres et le bien public. Dernières découvertes par Jean-François Larché
Origine
Connu dans le bordelais pour sa connaissance des arbres forestiers et fruitiers, Catros s’était signalé pour son activité dans les activités horticoles et comme introducteur d’essences. Resté longtemps ignoré, la redécouverte du personnage est portée par le regain d’intérêt en faveur de l’arbre et des jardins initié par l’historien des jardins Jean-Pierre Bériac. Né à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) le 20 mai 1757, Toussaint-Yves Catros est issu d’une famille nombreuse. Si ses activités avant sa venue à Bordeaux restent à explorer, la présente notice explore quelques aspects de son activité dès son arrivée à Bordeaux.
La pépinière du roi
Toussaint-Yves Catros entre au service de la pépinière royale de Guyenne le 1er juillet 1786 par contrat renouvelable avant une embauche définitive. Une quittance de 230 livres 6 sols, du 29 août 1786, mentionne le règlement « de mon voyage venant de Paris à Bordeaux en qualité de jardinier de la pépinière » (C 1520 / ADG ; figure 1) ce qui semble être l’ultime trace, après seulement deux mois à la pépinière bordelaise, d’un voyage destiné à mettre un terme à ses affaires parisiennes.
Voyage bref puisque le 17 août précédant il validait sa première quinzaine à la direction de la pépinière de Bordeaux sous les ordres de Brémontier et de l’intendant de Néville. Une autre quittance de même date (29 août 1786) concerne un voyage accompli par un nommé Coutard « pour aller au service de monsieur de Néville, intendant de Bordeaux en qualité de jardinier pour le potager » (ibid) avec la mention d’une somme que l’intéressé règle « pour le transport de mes effets » (ibid).
Il est fort probable que ces pièces d’archives sont les ultimes traces de l’embauche de deux spécialistes, l’un à la pépinière, l’autre au potager, issus d’un même employeur parisien ; notons que ces deux personnages devaient être vivement recommandés pour qu’ils soient employés à des postes clés ! L’arrivée de Catros et Coutard précède de peu la réception de divers envois de la pépinière du Roule à Paris, dont les bordereaux sont paraphés par le directeur de la pépinière, l’abbé Pierre-Charles Nolin, directeur des Pépinières et des Bâtiments du roi depuis 1772, et intime de la famille royale.
A 29 ans, Catros entre donc au service de la pépinière royale le 1er juillet 1786 par contrat de 3 mois réglé 300 livres perçues le 8 octobre suivant, puis 3 mois suivants réglés le 31 décembre, avant une embauche annuelle de 1 200 livres pour 1787 (C 1520-C 1523 / ADG). Coutard, dont nous ne savons que peu, intègre le service du potager à la même date ; il validera sa 1re quinzaine le 14 août 1786 comme responsable du potager pour des honoraires fixés à 200 livres pour 3 mois renouvelables avant une embauche définitive au 1er janvier 1787. Le 10 novembre 1786, il se fait adresser ses effets -des graines et des outils- par Vitry, jardinier du prince de Soubise à Paris (figure 2).
Ce prince c’est Charles de Rohan (1715-1787), maréchal et Pair de France, ministre d’Etat et membre du Conseil d’En-Haut. Il y a toutes les raisons de penser qu’il s’agit là du dernier employeur de Coutard et probablement de Catros. Le prince de Soubise était un proche de la marquise de Pompadour, maîtresse puis confidente du roi, qui elle-même connaissait bien l’abbé Nolin, directeur de la pépinière du Roule et aumônier de la reine. Si nous n’oublions pas que le gendre du prince de Soubise est prince de Guéméné, une seigneurie bretonne (Morbihan) proche de la région de naissance de Catros, nous avons là un potentiel d’appuis qui pût jouer un rôle déterminant dans l’orientation professionnelle du sieur Catros.
Catros reprendra les fonctions occupées par le jardinier Jean Petit a qui il sera demandé de prolonger ses fonctions jusqu’au 1er novembre pour encadrer le nouveau directeur. Grâce aux recommandations rapides et élogieuses de Brémontier, Catros récupérera les fonctions d’inspecteur des pépinières laissées vacantes par François Paul Latapie (1739-1823), charge rétribuée 1 200 livres/an mais qu’il ne percevra pas. Il y a matière à penser qu’il s’agit d’un emploi taillé sur mesure grâce au niveau des recommandations dont jouira le nouveau jardinier.
Dans l’état actuel des connaissances, la préférence de Catros pour Bordeaux, peut se justifier par l’excellence de la pépinière de Guyenne et le sérieux du déménagement à venir, projet demandant un homme d’expériences. A défaut de certitudes, c’est la théorie que nous adopterons.
Depuis son origine sous la Régence, la pépinière royale s’étendait au nord-ouest du jardin royal de Bordeaux (emplacement de l’actuel Jardin-Public). Délocalisée à Talence elle continuera à produire des arbres forestiers (ormes, chênes, frênes, noyers, mûriers blancs) et des arbres fruitiers (pommiers, poiriers, vigne, cerisiers, plaqueminiers...). La plus grande partie du temps de Catros sera absorbée par les livraisons d’arbres, l’entretien de la pépinière, le déménagement de l’institution et la direction des équipes de jardiniers parmi lesquels il fera la rencontre de la famille Gérand.
Jean Gérand fait partie des quatre jardiniers employés par un contrat spécial. Il apparaît en 1790 dans les Etats de journées employées à la pépinière, sortes de bordereau de suivi quotidien du personnel. Il est spécialiste greffeur payé 18 à 24 sols ; les moins qualifiés sont des saisonniers hommes et femmes dont le fils Gérand, Jean-Louis, futur époux d’Anne-Jeanne Catros.
La pépinière possédait une ferme expérimentale dont l’importance est mal connue. Il semble s’agir de cultures intervenant dans les assolements destinés à enrichir le sol en éléments minéraux et en matière organique dans le cadre des rotations survenant avant et après l’immobilisation de la sole par les arbres et arbustes. On y trouvait aussi de l’orge et du seigle, également de la prairie dont le foin était vendu. Catros trouvera là matière à exceller, il gardera une collection céréalière dans sa pépinière d’Eysines.
. Portrait de Brémontier vers 1840, le grand ami de Catros (Recueil des portraits et histoire des hommes utiles, bienfaiteurs et bienfaitrices de l’humanité, d’Ormoy, 1834).
Malgré les difficultés de l’époque et un déménagement hasardeux, la pépinière de Bordeaux gérée par Brémontier et Catros réalisa 103 220 plantations de 1787 à 1790 grâce à la recette qui avait toujours fait son succès, la diversité (tableau 1). L’intendance ayant cessé d’exister, la nouvelle administration mise en place le 25 juillet 1790 décida mettre un terme à l’existence de la pépinière, jugée par eux onéreuse et d’intérêt discutable.
Le 18 février 1791, les administrateurs du Directoire décidèrent de ne pas renouveler le bail avec le propriétaire à la date anniversaire du contrat soit le 1er mars 1792. Catros, chargé du nouveau déménagement sur un terrain près de la rivière à Bacalan, saisit l’opportunité de passer un accord avec le Conseil général sur la base d’un forfait de 3 000 livres pour s’occuper de la dernière campagne de vente, restituer les terres en bon état et d’obtenir à son profit un tiers de tous les arbres arrachés.
C’est ainsi que disparut une institution réputée pour son excellence après 69 ans de présence à Bordeaux, c’est ainsi que Catros pût démarrer avec son beau-frère une entreprise de fleuriste-pépiniériste, alliance professionnelle scellée par l’alliance matrimoniale de sa sœur. En 1790 la pépinière comptait 100 000 pieds d’arbres, elle dut en proposer à la vente 20 000, dont une certaine quantité ne sera pas délivrée ce qui permet d’estimer la quantité des plantes récupérées par l’entreprise Catros-Gérand entre 60 et 80 000 !
L’amitié de Brémontier
Dans la carrière de Catros, il est un homme incontournable qui jouât le rôle d’ange-gardien de Catros, c’est l’ingénieur en chef Nicolas Thomas Brémontier (figure 2) dont les bienfaits se manifesteront très tôt, dès 1787. Il écrira de lui qu’il est « un homme très instruit dans son état, et dont le zèle et l’honnêteté sont bien reconnus » (C 1522 / ADG) pour lequel il demandera une gratification supplémentaire auprès de l’intendant De Neville.
Il défendra encore son protégé, malade, devant Bernard Journu-Auber le nouvel administrateur nommé par le Directoire du district de Bordeaux :
« M de Neville avait pour cette raison devoir lui passer le bois de chauffage très nécessaire à un homme qui avait continuellement des frissons et de la fièvre. Vous aurez la bonté de faire à cet égard ce que vous croirez juste » (17 décembre 1790 ; idem).
Quarante ans plus tard Catros dévoilera que les relations avec Brémontier l’avaient conduit à s’occuper de son patrimoine de Mauras (commune de Cambes) dès 1787 en y plantant les arbres commandés à la pépinière ou ailleurs. Ce n’est que le 21 mai 1803 que Catros sera officialisé comme fondé de pouvoir de Brémontier par acte passé devant le notaire Rauzan à Bordeaux. A cette époque ce dernier envisageait son départ pour Paris où il allait être muté comme inspecteur général des Ponts et Chaussées.
L’entreprise Catros-Gérand
Peu avant la disparition de la pépinière, Toussaint-Yves s’établit à son compte en créant une petite pépinière dans le quartier de Bacalan, à proximité du magasin de vivres de la Marine. Son entreprise s’accompagnera plus tard d’un lieu de vente en plein cœur de Bordeaux, la future maison au 25 allées de Tourny. Il sut enrichir sa pépinière de plants qu’il se fait livrer d’Amérique par bateau dont les premiers cyprès-chauves (Taxodium distichum) plantés en 1792 dans la terre des palus, des cyprès à feuilles de thuya (Cupressus thuyoides) originaires de la côte est de l’Amérique du Nord et de bien d’autres, essentiellement des arbres forestiers (figure 3) car il sollicite les pépinières créées par le botaniste Michaud.
Avec son beau-frère, il crée une pépinière à Eysines en 1792 mais finit par acquérir (5 juin 1797) une propriété de 120 hectares, le domaine de Nauville, au quartier du Haillan, commune d’Eysines. Il y cultivera essentiellement des végétaux introduits d’Amérique du Nord mais aussi de nombreux arbres fruitiers.
Homme de science, membre de coeur
Reconnu pour ses compétences et son talent, Toussaint-Yves est membre co-fondateur de la Société Linnéenne, membre de plusieurs sociétés savantes avec son beau-frère Gérand. Elu à l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux le 8 janvier 1798, les archives conservent les écrits de ses observations comme ceux de l’an VII (1798-1799) qui gardent la trace de la grande peur qu’il eut quand l’incendie de la lande vint menacer ses collections :
« les pasteurs jaloux de voir cultiver des terres où ils ont coutume de mener paître leurs troupeaux qui ont vingt fois plus d’étendue qu’il n’en faudrait… » (Mémoires, I an V-an IX / Académie Sc B-L et A) et poursuit par un constat « cette jalousie les fait allumer le feu près et quelquefois même dans les pignadas d’où il résulte des pertes considérables pour les particuliers… ce qui est arrivé près de chez moi (le domaine de Nauville) il y a quelques jours ou l’on mit le feu dans les landes sans déclaration ni précaution. Le feu se continua jusque dans des pignadas considérables d’un établissement le plus près de chez moi et a fait beaucoup de mal sans que l’on ait pu savoir qui l’avait allumé » (idem).
Malgré son entreprise, Catros s’investira dans la Commission des dunes, une assemblée d’expert créée par les Consuls le 13 Messidor an IX (2 juillet 1801), destinée à surveiller les travaux de fixation des dunes et l’emploi des fonds affectés ; elle sera présidée par ce cher Brémontier qui y restera peu car promu inspecteur général avec siège à Paris. Maints auteurs rapportent que Catros vint à Paris recueillir les derniers instants de Brémontier mort de la tuberculose le 16 août 1809 ce qui est peu probable.
Le pépiniériste passionné atteint à la notoriété quand il publie son Traité raisonné des arbres fruitiers (1810), un héritage d’expériences et de savoir, laissé à ses neveux. Toujours au service des élus locaux, c’est avec un pincement au cœur qu’il est sollicité lors de la création de la pépinière municipale dans l’enclos des chartreux de Saint-Bruno. Il fera même ses premiers pas dans la vie politique en acceptant sa candidature dans la liste municipale d’Eysines (9 mai 1821). Son entente avec son beau-frère apparait comme une constante fiable puisqu’ils achètent ensemble le domaine de Loiseau au Bouscat (10 février 1824).
Toussaint-Yves meurt le 10 novembre 1836 dans son domaine de Loiseau, au Bouscat, un an et demi après sa chère sœur Anne-Jeanne, deux mois avant son éternel associé Jean-Louis Gérand. Si vous passez un jour au Jardin Public, passez par l’entrée du Champ-de-Mars, c’est la seule qui soit inchangée depuis deux siècles. En fermant les yeux vous y sentirez la présence de Toussaint-Yves, Anne-Jeanne et Jean-Louis devisant gaiement sur l’avenir des lieux.
Dans cette salle agréablement décorée par dix-sept tableaux d’Eugène Périé, adhérent de Connaissance d’Eysines, nous nous retrouvons autour d’une table garnie de boissons et de douceurs !
Marie-Hélène Guillemet, Jean-François Larché, Gilbert Sifre, Elisabeth Roux