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Sur le perron de son château Mme Berjal peut apparaître aussi fière que timide alors que la famille s’égaye dans le jardin (cliché 1) …Ainsi, à la charnière des XIXe et XXe siècles, pour la première et aussi dernière fois, la convergence de deux créations récentes va saisir sur le vif une tranche de vie des Français, qu’ils soient habitants de bourgs ou de châteaux, qu’ils habitent la ville ou la campagne et quels que soient leurs métiers.

            Ces deux créations -la photographie et la carte postale- vont illustrer des milliers de lieux et créer une ressource originale et unique telle qu’un siècle plus tard, celle-ci reste toujours une référence. C’est donc grâce à cette iconographie que nous pouvons saisir un pan de vie de cette demeure ancienne bâtie par les seigneurs de La Plane.

Cliché 1. La famille Berjal sur le perron de l’entrée de Lescombes. Bancs et orangers en caisse agrémentent le jardin de proximité (carte postale 1900 L Coutenceau / collection Connaissance d’Eysines). En arrière-plan, à gauche, un des premiers palmiers trachycarpes plantés dans la région.

Cliché 1. La famille Berjal sur le perron de l’entrée de Lescombes. Bancs et orangers en caisse agrémentent le jardin de proximité (carte postale 1900 L Coutenceau / collection Connaissance d’Eysines). En arrière-plan, à gauche, un des premiers palmiers trachycarpes plantés dans la région.

Jardin de proximité et lieu de pouvoir

Ce qui nous préoccupe ici, c’est le jardin, notamment celui qui se trouvait à proximité des lieux de vie et que je nommerais pour cette raison jardin de proximité. Parcouru régulièrement par ses occupants, il constituait un espace extérieur de vie, modifiable selon les envies, sensibilités, modes, saisons et fortunes.

 

L’élément roi de cet espace, tel qu’il apparaît sur ces précieuses cartes postales c’est l’agrume présent en caisses « à la Versaillaise » qui viennent agrémenter les abords de la demeure (cliché 2). Connues depuis le XVe siècle par les belles collections royales, les caisses de citronniers sont faciles à conserver si l’on dispose d’une orangerie. La seule contrainte étant leurs déplacements deux fois l’année, pour les sortir de l’orangerie le printemps venu ou les y remettre à l’arrivée des premiers froids.

Comme modèle de ce qui se faisait retenons l’exemple du jardin de l’intendant à Bordeaux qui contint jusqu’à une quarantaine de citronniers dont la présence égayait le séjour des hôtes de passage dans les trente dernières années du XVIIIe siècle. A Lescombes, si une dizaine de caisses à citronniers apparaissent seulement, cela n’empêcha pas les habitants de penser occuper aussi un lieu de pouvoir.

Cliché 2. Caisse en bois à la Versaillaise utilisée pour un bigaradier (Citrus aurantium). Ce genre de caisse, que l’on trouvait dans le jardin de l’intendant, était adapté régulièrement aux dimensions de l’arbuste (orangerie du jardin du Luxembourg / Paris).

Cliché 2. Caisse en bois à la Versaillaise utilisée pour un bigaradier (Citrus aurantium). Ce genre de caisse, que l’on trouvait dans le jardin de l’intendant, était adapté régulièrement aux dimensions de l’arbuste (orangerie du jardin du Luxembourg / Paris).

A la mode des années 1900, la part belle était faite aux touches de couleurs données par les plantes annuelles et les tubéreuses, souvent des introductions des Amériques ou d’Asie. A Lescombes les images d’époque suggèrent aussi la présence de lilas des Indes (Lagerstroemia indica) et de troènes du Japon (Ligustrum japonica) en pots ou caisses.

Pour les massifs et les bas de murs, les bergénies (Bergenia crassifolia) se trouvaient en compagnie des cannas (Canna sp) en situation humide tandis que le désespoir du peintre (Heuchera sanguinea) rampait sous les hortensias en lieu plus lumineux. Bien d’autres végétaux -arbustes et vivaces- apportaient leurs odeurs et couleurs aux jardins 1900, des curiosités aussi comme le poncirier (Poncirus trifoliata) un agrume dont les fleurs blanches ravivaient les tristes journées d’hiver, ou encore le monde des rhododendrons (Rhododendron sp) s’imposant à la semi-ombre dès le printemps. Que dire des coquelourdes (Lychnis coronaria) égayant de rose magenta les lieux secs en compagnie des roses-trémières (Alcea rosea) et du bambou sacré (Nandina domestica).

Enfin il me faut citer un palmier maintenant commun dans la région, le palmier de Chine ou trachycarpe (Trachycarpus fortunei) dont deux sujets se dressaient à proximité des murs, devant l’entrée nord-est avenue du Taillan. Originaire du sud-est de l’Asie, cette espèce, longtemps confondue avec le palmier nain (Chamaerops humilis) avait été plantée au jardin botanique du Jardin Public de Bordeaux en 1859 sous l’administration de Durieu de Maisonneuve qui avait accompli une partie de sa carrière en Algérie. Il allait rapidement se trouver planté devant les maisons dont les occupants avaient vécu en Orient ou en Afrique.

 

Lieu de pouvoir, indiscutablement Lescombes l’a été, même si la décrépitude des temps l’a fait passer du statut de lieu de prestige à celui de simple maison de plaisance et les jardins ont suivi la condition de l’occupant des lieux. En rendant hommage au roi en 1774 pour la maison noble de Laplane/Lescombes, Pierre Duret concrétisait l’ascension sociale d’une famille bourgeoise commencée cinquante ans plus tôt par l’achat du domaine par sa famille. Un siècle plus tard, le maire d’Eysines, Pierre Hyvert, y loge à partir de 1877 et dès l’année 1908, M. Berjal, négociant originaire de Corrèze, Mme Faure en 1928, dernière propriétaire privée avant l’achat par la municipalité en 1992.

Clichés 3 et 4. Château de Lescombes côté ouest à un siècle d’écart (1916-2022). Notez la présence de la magnolie ou magnolier (Magnolia grandiflora) à droite témoin d’un siècle de vie des lieux (carte postale 1900 Justin éditeur / collection Connaissance d’Eysines).
Clichés 3 et 4. Château de Lescombes côté ouest à un siècle d’écart (1916-2022). Notez la présence de la magnolie ou magnolier (Magnolia grandiflora) à droite témoin d’un siècle de vie des lieux (carte postale 1900 Justin éditeur / collection Connaissance d’Eysines).

Clichés 3 et 4. Château de Lescombes côté ouest à un siècle d’écart (1916-2022). Notez la présence de la magnolie ou magnolier (Magnolia grandiflora) à droite témoin d’un siècle de vie des lieux (carte postale 1900 Justin éditeur / collection Connaissance d’Eysines).

 

Espace arboré, dis-moi ton nom ?

S’éloigner des vestiges du jardin de proximité c’est essayer de découvrir/redécouvrir une cohérence entre les arbres qui s’y trouvent (clichés 3 à 6). Devant l’entrée, au nord-est avenue du Taillan, le sophora du Japon (Styphnolobium japonicum[i]) et le cèdre de l’Atlas (Cedrus libani subsp atlantica[ii]) sont les derniers témoins du parc aménagé vers la fin du Second Empire ou le début de la IIIe république. Un mûrier blanc (Morus alba), témoin de l’âge d’or de la sériciculture -les années 1820 - 1860- impose encore sa carcasse revêtue d’écaille dans un œuf éphémère conçu en 2022. Le sol garde encore la trace du cheminement en ovale laissée pour le passage des voitures hippomobiles…

 

Notes

[i]Les premiers sophoras du japon sont arrivés en France sous forme de graines adressées à Bernard de Jussieu par le sinologue et botaniste jésuite Pierre-Nicolas d'Incarville résidant en Chine, sous la mention d’arbre chinois inconnu. Du semis sont obtenus dans les années 1747 et suivantes les premiers sophoras de France dont celui du Jardin des Plantes de Paris et celui de Chèvreloup malheureusement mis à terre par l'ouragan de décembre 1999. D'autres suivront, ceux de Saint-Germain-en-Laye au parc du Pavillon d'Angoulême en 1784 et du Petit Trianon à Versailles vers 1777 en témoignent. Les arbres les plus gros dans les parcs publics font remonter leurs plantations entre la fin du XVIIIème siècle et la fin du XIXème. La variété à port retombant, a été obtenue de culture en Angleterre en 1927.

[ii]Le 1er cèdre introduit en France serait le cèdre du Liban, selon le témoignage de Belon (1517-1564) mais il disparait par la suite. Il est réintroduit en France en 1732-1735 par Bernard de Jussieu (1699-1777) à l’issus d’un voyage en Orient. Des deux plants qu’il rapporta, l’un a été planté au jardin du roi, au pied de la colline du Labyrinthe, le second fut offert par Jussieu à Trudaine (1703-1769), intendant général des Finances et directeur des Pépinières Royales, qui le fit planter en 1735 dans le parc de son château de Montigny-Lencoup.

Clichés 5 et 6. Sophora du Japon et mûrier blanc (en 2012), témoins de l’histoire des hommes avec les plantes et expression du patrimoine vivant. Le sophora a été classé récemment comme un des plus beaux arbres de la commune.Clichés 5 et 6. Sophora du Japon et mûrier blanc (en 2012), témoins de l’histoire des hommes avec les plantes et expression du patrimoine vivant. Le sophora a été classé récemment comme un des plus beaux arbres de la commune.

Clichés 5 et 6. Sophora du Japon et mûrier blanc (en 2012), témoins de l’histoire des hommes avec les plantes et expression du patrimoine vivant. Le sophora a été classé récemment comme un des plus beaux arbres de la commune.

Côté ouest, un cheminement accessible par la droite, entre le château et le pigeonnier, est balisé d’une dizaine de chênes verts (Quercus ilex[i]) dont les plus anciens sont pluriséculaires. Cette sente est tronquée puisqu’il n’en reste que la partie nord-ouest alors que la partie sud-est est occupée par un chemin en terre entre l’avenue du Taillan et la rue de la Lande Blanche.

 

Utilisée dès le XVe siècle dans les jardins et les abords des domaines nobles, la présence du chêne vert dans une telle disposition semble attester l’existence d’un parc au XVIIIe siècle -peut-être même sur une base plus ancienne- et dont les sujets se sont trouvés régulièrement remplacés. Ce cheminement proposa donc, au tournant séculaire de la Belle Epoque, une approche digestive et hygiénique des convives qui permettait de faire admirer autant la beauté des lieux que l’aisance financière du propriétaire.

Il semble possible que le parc fût complété d’un bosquet de charmes (Carpinus betulifolia) au nord-ouest, d’un sous-bois de rhododendrons et de l’installation de bassins aux extrémités de l’allée centrale.

Les bassins -deux pour respecter la symétrie- seront agrémentés d’ormes de Sibérie (Zelkowa crenata[ii]), très à la mode dans le dernier quart du XIXe siècle. Un cheminement central, séparant ce jardin en deux, était ponctué latéralement d’allées dans le plus pur style des parcs à la Française. Il en reste des chênes verts entourés de vestiges de bordures de buis (Buxus sempervirens[iii]) et d’ifs (Taxus baccata) qui accréditent l’hypothèse d’un jardin créé sous l’Ancien Régime qui ne devait pas manquer de beauté.

Un apport régulier d’essences nouvelles[iv]dans la seconde partie du XXe siècle a amené d’autres essences dont l’effet, pas toujours heureux, s’il a donné aux lieux passablement abandonnés un petit air d’arboretum, a gommé la vision globale des volumes créés par le jardin initial.

 

 

De cette courte approche deux enjeux émergent. Le premier consisterait à restaurer les volumes du parc ancien, là où cela est possible, en intégrant au mieux les apports récents, ce qui permettrait de revaloriser les liens entre l’homme et les arbres par la restauration des visions successives du jardin. Cela peut se faire moyennant quelques abattages compensés par des plantations.

Le second est lié à la biodiversité et au changement climatique. L’idéal serait de multiplier les essences présentes localement pour profiter au mieux de leurs aptitudes aux contraintes locales du sol et du climat. Il est possible de semer et bouturer en prenant appui sur l’espace du jardin potager local qui trouverait là un usage actuel tout en gardant sa traçabilité liée à la tradition potagère communale.

 

Jean-François Larché, septembre 2022

 

 

[i]Entré dans le légendaire régional par la légende qui vit la naissance de François d’Angoulême (12/09/1494), futur François Ier, au pied d’un sujet de cette essence, le chêne vert est utilisé en pays d’oïl pour borner les domaines et les maisons nobles. Utilisé en port libre dans les monastères suivant l’enseignement biblique, il a trouvé sa place dans l’art topiaire des jardins à la Française.

[ii]Le faux orme de Sibérie a été introduit en 1765 en France mais il faut attendre 1785 pour que le botaniste André Michaux en donne une description complète à partir d'arbres observés sur les bords de la Mer Caspienne, sous le nom de genre Planera. Ceux d’Eysines sont mentionnés en 1937 par Pierre Buffault, conservateur des Eaux et Forêts, comme parmi les plus beaux qu’il ait vu (Actes de l’Académie nationales des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, X, 1934-1936. Les arbres exotiques à Bordeaux et dans la région, p 55).

            [iii] L’utilisation des buis dans les jardins semble connaitre son âge d’or dans l’usage topiaire voulu dans les jardins conçus sur le modèle versaillais. Les jardins d’églises et de monastères l’ont employé dès l’époque gallo-romaine avec l’if et le cyprès de Provence. Au XVIIe siècle le Monasticum Gallicanum montre en abondance ces buis ciselés dans la création de motifs ornementaux.

[iv]Chêne liège (Quercus suber), ginkgo (Ginkgo biloba), micocoulier (Celtis australis), sophora pleureur (Sophora japonica cv Pendula), noyer noir (Juglans nigra), marronnier commun (Aesculus hippocastanum), cèdre de l’Atlas (Cedrus libani subsp atlantica), tilleul argenté (Tilia tomentosa) ont trouvé ainsi une place à Lescombes.

A noter la présence de beaux ailantes (Ailanthus altissima), voisins des limites du parc, qui s’essaiment dans la limite arborée limitrophe au nord-est. Introduit en France en 1751, en Aquitaine dans le dernier tiers du XIXe siècle comme nourriture du ver à soie, puis de nouveau dans le 1er quart du XIXe siècle pour fixer les sables de la côte Aquitaine.

 

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