Les « établissements dangereux, insalubres ou incommodes » à Eysines
Au XIXème et dans la 1ère moitié du XXème siècle
D’après les Archives municipales n° 3 J 1 & archives départementales 5 M 386 & 387 & 388
Nous avons relevé, classé puis étudié, 68 dossiers nommés « Etablissements dangereux, insalubres ou incommodes », dont 43, aux archives municipales et le reste aux archives départementales. Ces dossiers vont d’un simple formulaire préfectoral complété, en recto verso, à des dizaines de circulaires, lettres, enquêtes, formant des dossiers plus ou moins épais…
Dès la Révolution, on réfléchit à la réglementation des ateliers et manufactures qui pourraient compromettre la santé. De nombreux décrets et ordonnances vont réglementer « …. les manufactures et ateliers dont l’exploitation donne lieu à des exhalaisons insalubres ou incommodes… » comme il est dit dans le 1er décret de 1810 et une surveillance étroite se met en place, comme en témoigne par exemple une lettre du préfet au maire d’Eysines, le 15 février 1910. Le préfet évoque l’inquiétude du conseil départemental d’hygiène :
« La mortalité à Eysines en 1906 est de 2,05% et en France elle est de 1,99%
en 1907 est de 2,12% et en France elle est de 2 02%
en 1908 est de 1,98% et en France elle est de 1,90%
==>Le conseil départemental d’hygiène doit examiner si des mesures sanitaires devraient être prises à Eysines.
La délégation envoyée sur place a constaté les améliorations :
1/caniveaux construits le long de la voie principale, 2/grand fossé d’eau stagnante comblé.
Cependant il faut améliorer :
1/interdiction aux habitants de déposer des fumiers et ordures sur la voie publique ou en bordure
2/les fumiers doivent être éloignés de tous les puits servant à l’alimentation
3/ les puits doivent être couverts
4/tous les propriétaires de porcheries non régulièrement autorisées ont 15 jours pour solliciter l’autorisation
5/il serait désirable qu’un projet de réfection de la voirie fut mis à l’étude à brève échéance. »
Nous n’avons pas la réponse du maire…..mais il a certainement obtempéré !
Voici les 10 sortes d’établissements demandant une autorisation :
1/ les fours à chaux :
La 1ère autorisation est datée du 2 mai 1835, pour un four à chaux par M Bréson ; nous ne savons ni où il est situé ni la nature de sa fabrication. Par contre de 1841 à 1886, il y a 6 autorisations délivrées à Laforêt pour production de tuiles et briques ; un seul est un four à poterie, sans plus de précisions. Mais nous savons qu’en 1842, Mme veuve Pommier demande de déplacer son 1er four à chaux établi l’année précédente pour s’établir « dans le village de Laforêt à proximité de plusieurs établissements de même nature, entre la route départementale n° 18, les propriétés de Landais et Pargade et celles de la commune ».
Nous pouvons donc en conclure que les fours à chaux étaient essentiellement situés à Laforêt et ceci jusqu’en 1886.
La consultation des listes électorales nous indique que, dès 1853, il y a des tuiliers : entre 9 et 5 suivant les années (jusqu’en 1900 date maximum de nos relevés).
Ancien four à chaux au « Grès médocain » à Brach ; Ceux d’Eysines devaient être sensiblement les mêmes.
2/ les lavoirs
Les 4 demandes ne sont faites qu’en janvier et février 1858, la plupart pour le maintien d’un lavoir existant, mais sans indication de lieu. Plus aucune mention de lavoir ne se retrouve ensuite. Sur les listes électorales le 1er blanchisseur est mentionné en 1880, mais les blanchisseuses ne votent pas !
3/ les appareils et chaudières à vapeur :
2 demandes très différentes sont enregistrées :
la 1ère en 1859 concerne un appareil à vapeur pour la fabrique de saucissons, au Vigean, par Jean Flouch, sur la propriété de N. Guichenet ; cet appareil est décrit ainsi : « Machine à vapeur d’une force de 2 chevaux, construite par Dancy frères, à cylindre horizontal, avec un autoclave de 230 litres fonctionnant à une pression de 2 atmosphères, et avec une chaudière à vapeur en tôle de 0,882 m3(1 générateur et 1 réservoir, pression de 5 atmosphères) chaque soupape de diamètre 21 mm, correspondant à une surface de chauffe de 3 m2. »
La 2ème demande en 1899 est celle de Mme De Georges (Eysinoff)pour la « mise en service d’une chaudière à vapeur destinée à l’élévation de l’eau de sa propriété. »
4/ la boyauderie à Jallepont :
C’est une longue histoire… qui laisse des souvenirs encore aujourd’hui chez nos Eysinais…
Le 18 janvier 1862, nous trouvons la 1ère ouverture d’une fabrique de cordes harmoniques à Jallepont ; cette ouverture se fait car il n’y a eu « aucune opposition des maires de Caudéran, Le Bouscat, Bruges, Blanquefort, Le Taillan, St Médard, Mérignac, et Eysines, ainsi qu’un avis favorable du Conseil d’hygiène et de salubrité du département »
Cependant le préfet exige certaines dispositions : « ….à charge par eux de se conformer aux dispositions suivantes :
1/ sol de l’atelier cimenté
2/bassin construit en maçonnerie à ciel ouvert pour contenir les eaux de lavage de la journée
3/ ce bassin sera vidé toutes les 24 heures au moyen de la soupape supérieure ; les détritus immédiatement enlevés et enfouis à 1m de profondeur, dans le sol et mélangé à la terre
4/ la communication entre le bassin et la Jalle, par un canal couvert et muni d’un grillage fin
5/ l’atelier sera largement lavé chaque soir et le samedi lavage pratiqué au chlorure de chaux
6/n’introduire dans cette usine que des boyaux préalablement vidés et soigneusement lavés
7/ transport dans des caisses doublées en zinc et hermétiquement fermées. »
Mais malgré cela, en 1871, des plaintes arrivent concernant… l’odeur ! Le préfet écrit au maire : « Il résulte d’après de nouveaux renseignements qui me sont adressés, qu’il se dégage à l’usine du sieur Dutripan à Jallepont des odeurs nauséabondes pouvant devenir préjudiciables à la sécurité publique. Je vous prie de vouloir bien vérifier….. »
En 1872, le préfet écrit à nouveau pour préciser qu’il accorde « le renouvellement de l’autorisation….. le conseil d’hygiène et de salubrité a émis un avis favorable…. J’ai décidé en conséquence qu’il y avait lieu d’accueillir favorablement la demande du sieur Monnier à condition qu’il fit pratiquer dans le plafond de l’atelier du rez-de-chaussée une ouverture conique ayant à sa base 2 m2 et s’emboitant par son extrémité supérieure dans un tuyau d’appel qui devra s’élever de 3 m au-dessus de la toiture de l’atelier. »
Une consultation des listes électorales nous indique que Dutripont Pierre, né en 1826, est fabricant de cordes harmoniques à Jallepont( nous savons aussi qu’une Boyauderie Babolat frères et Maillot a été enregistrée le 18 janvier 1862, M Dutripan et M Monnier alors propriétaires, chemin des Cures 63, à Lyon) ; puis de 1875 à 1885, des luthiers sont installés à Jallepont( Boissey Hilaire, né en 1842 et Favet Louis, né en 1845) ; des boyaudiers résident à Jallepont dès 1880 et ceci jusqu’à nos relevés de 1900 !
5/les abattoirs et tueries :
Plusieurs de ces demandes émanent des bouchers de la commune et ces autorisations sont données sous la surveillance du vétérinaire Capsec de St Médard.
La 1ère demande et autorisation date de 1874 pour l’abattoir de M Doumeret boucher au Vigean ; ceci fait suite à une « enquête administrative de Commodo et d’Incommodo » Des voisins se plaignent : Louis Seguin, marchand de bois, voisin mitoyen « … nuisible à sa santé, sa famille et ses ouvriers doivent quitter le travail tellement l’odeur est forte », Jean Bach, propriétaire « … voisin à 12 m et 34 m en façade séparée de la route départementale sont exposés à l’odeur nauséabonde », en tout 9 personnes qui habitent entre 12 et 35 m se plaignent !
D’autres autorisations sont accordées en 1904 à M Pinos Albert boucher au Bourg, puis en 1905 à M Baudon au Vigean ; mais en 1911 M Baudon doit faire de grosses améliorations dans un délai de 3 mois « en attendant le transport sur un autre point ». En 1911, de nouvelles autorisations pour M Delaube au Bourg et M Ciclot. En 1930, M Pinos Albert boucher exploite la tuerie de M Tartas et en 1931 M Léopold Cousin au Vigean remplace M Doumeret.
En 1878, la tuerie de porcs de M. Arrivet doit se conformer à : « 1/les eaux sanguinolentes et autres provenant des opérations effectuées à la tuerie ainsi que les urines venant de l’étable, se feront dans une rigole couverte d’une trappe permettant l’accès pour le nettoyage 2/ le sol de la tuerie sera maintenu dans un état de propreté irréprochable. 3/ le fumier venant de l’étable sera enlevé tous les 8 jours et transporté loin du local d’habitation de Arrivet et sa famille. »
6/ les porcheries :
8 demandes d’autorisation sont déposées de 1909 à 1938. La 1ère en 1909 est située au lieu-dit « La Pompe », 4 sont à La Forêt et leurs propriétaires ne sont pas eysinais mais de Mérignac, Caudéran ou de Bordeaux ! Dans les années 1930, 2 porcheries élèvent 20 animaux chacune. Un arrêté de la mairie donne un ultimatum le 10 avril 1910 : « concernant l’exploitation de la porcherie les sieurs Ducos fils Jean Fernand et Pérey fils Pierre Albert sont mis en demeure dans un délai de 8 jours : 1/enlever les fumiers et débris de toute nature 2/faire disparaitre toutes les mares et flaques de purin 3/transporter tous les fumiers et débris loin de la porcherie, de la route de Blanquefort et de la ligne de chemin de fer ».
Un gros dossier est consacré à la porcherie Déjean à Lescombes à partir de 1923.
7/ les dépôts d’engrais :
L’atelier d’engrais Balland-Chaigneau-Médan : c’est en 1853 que « le Sieur Balland demande le transfert de son atelier, situé à la lande de Pezeu à Caudéran, au Bretey commune d’Eysines ». C’est une longue affaire déjà relatée qui dure jusqu’en 1927 !
En 1885, Dauriac au Bois de Picot n’a pas d’autorisation pour un dépôt d’engrais.
En 1901, un dépôt d’engrais au Vigean est accordé à M. Marceron Edmond « sous conditions :1/pas d’engrais dans le dépôt en juin, juillet, août et septembre 2/ le hangar qui le contient est hermétiquement clos. »
Puis en 1942, un atelier de fabrication de « fumier technique » par la Société Nouvelle d’Engrais de Bordeaux est autorisé près de la gare à Eysines.
8/les gravières :
Cela concerne :d’abord les concessions d’extraction : en 1901, M Fabre de Rieunègre concède à Eysines le droit d’extraire, brut ou épuré …..pour l’entretien et la construction....des chemins ruraux et autre voirie, tout le gravier contenu dans une superficie de 100 m2 situé à ma gravière de Bois Grammont moyennant le prix de 350 francs à raison de 3,50 francs le m 2 …… »
Toujours en 1901, les travaux d’exploitation de la carrière de M Roux Raymond sont réglementés : « dans les servitudes du chemin vicinal n° 1 de Laforêt à Eysines, jusqu’à la distance horizontale de 3 m. La fouille devra être remblayée dans les parties exploitées des servitudes au fur et à mesure de l’avancement des travaux. »
En plus en 1924, l’ouverture des 2 gravières est accordée à Edouard Carraire « (Travaux Publics, Transports, Labours, Déménagements – Graves et Sables de toutes sortes )…. l’une située chemin de la Forêt au lieudit le Brillaud et la deuxième au lieudit Bois Grammont. »
9/les appareils producteurs de gaz acétylène :
L’électricité ne commence à arriver à Eysines qu’en 1910. Il faut cependant s’éclairer le mieux possible, dans les maisons, commerces et ateliers ; la lampe acétylène fait partie de cette nouvelle façon de s’éclairer individuellement. Il semblerait d’après les cartes postales d’avant 1910, qu’il y avait des réverbères dans la Grande Rue d’Eysines , un système au gaz sans doute….
Définition : L’acétylène est un gaz inflammable, découvert en 1836 par le chimiste britannique Edmund Davy. Sa production à l’échelle industrielle a commencé en 1892 grâce aux travaux du français, Henri Moisan. Dès 1893, des systèmes d'éclairage autonomes ont commencé à voir le jour, en utilisant les lampes à carbure ou lampes acétylènes. Sa source lumineuse très puissante provient de la combustion d’un gaz qui est produit par une réaction chimique entre le carbure de calcium et l’eau. Lorsque l'acétylène s'enflamme dans l'air, il donne une flamme très éclairante, de couleur jaunâtre et très nébuleuse. (Source internet)
17 autorisations sont délivrées entre 1900 et 1910 !
La 1ère est obtenue par Gaston Saux au Chantilly, au Vigean, en vue de son éclairage particulier ; cet appareil doit être dans un local avec : « 2 ouvertures grillagées de 50cmX20cm au-dessus et de chaque côté de la porte, à la partie supérieure de la paroi du baraquement où est l’appareil ». En 1902 , les mêmes demandes sont accordées à A.Laurent au Vigean , A.Goyeaud à Eysines , puis en 1904 à J. Seguin à Eysines. En 1909 : Buffeteau au Vigean, Meu Pierre au Vigean, Aïnsa à Eysines, Mme veuve Gazillon à Eysines, Joffre au Grand Louis, Veuve Fourton au Bourg.
De 1906 à 1908, les demandes ne sont plus pour l’éclairage particulier, mais pour des commerçants « rechargeant » les lampes à acétylène de leurs clients Eysinais ! C’est la cas de Paul Nouaux au Grand Louis, Hugon à Eysines, Delaube Jules au Bourg, Antoune épicier à Eysines, Pineau Philippe au Vigean, Seguin à Eysines, Delsol restaurateur à Eysines à qui la préfecture spécifie : « …. L’appareil producteur…ce local : son mur surhaussé en moellons par une murette en briques de 0m11 d’épaisseur, de 1,30m de hauteur et dépassant de chaque côté de 0,30 le local. »
10/les scieries :
En août 1924, le 13 et le 28, 2 autorisations sont données pour des scieries mécaniques : l’une à Fernand Carraire au Grand Louis, avec 8 machines-outils, et l’autre à Sylvain Lauroua, chemin de la Gare à Eysines, avec 5 machines-outils. Pour la scierie Carraire, nous avons des précisions : « sur un terrain de 6 000 m2 contigu à la cour de la gare, à usage de scierie mécanique et fabrique de fibre de bois :
-la scierie : transformation des bois en grumes, madriers, bastings et planches de diverses longueurs et épaisseurs
-la fabrique de fibre : transformation des déchets de bois en fibre pour emballage divers. »
Pour la scierie Lauroua, nous apprenons que c’est une scierie « à travailler le bois qui se trouve par conséquent rangé dans la 3ème classe des établissement dangereux. »
11/d’autres établissements :
1/ en 1876, la demande pour un atelier de lavage de laines et peaux de mouton à Landemoulin n’a sans doute abouti à aucune réalisation …
2/ en 1929, le dépôt d’essence au Chantilly, pour un « transfert d’autorisation accordée d’un dépôt d’essence de Fourcet Valmy, restaurateur au Vigean, pour dépôt d’essence en réservoir souterrain d’une contenance de 3 000 litres en lieu et place de Mme veuve Saux qui a eu l’autorisation le 27 février 1926. »
3/ en 1931, une laiterie, route de Saint Médard
4/en 1935 « Déclaration de Monsieur Francisque opérateur de cinéma(itinérant) au compte de Monsieur Usureau Eden Cinéma à Montségur, Gironde, déclare employer des films inflammables mais être à couvert par la cabine incombustible (tôles et amiante) »
5/en 1898, Eysines a évité un dépotoir chez Fabre de Rieunègre par le sieur Laval ; les Eysinais auraient eu encore d’autres odeurs nauséabondes….
« Le 27 juillet 1898 rapport par Dr Blarez ? sur la demande du sieur Laval à l’effet d’établir un dépotoir couvert, chez Fabre de Rieunègre, pour les matières de vidange de produit excrémentiel provenant des fosses d’aisance de Bordeaux, livrés en barriques, pour un stockage court dans des bassins étanches et couverts, complètement fermé et muni de 2 ventilateurs aspirant les gaz et les rejetant dans des épurateurs et des bruleurs.
Registre ouvert le 6 mars 1898, des protestataires eysinais, et les protestations des communes de Mérignac, Le Haillan, Le Bouscat, St Médard et Caudéran.
Le 14 juin 1896 : nouvelle demande du sieur Laval suivies des protestations des Eysinais et des communes de Mérignac, Le Haillan, Le Bouscat, St Médard et Caudéran. »
Le grand nombre de documents étudiés sur ce sujet, pour la période concernée, montre l’importance et la diversité des activités économiques dans notre commune, liées à sa proximité avec Bordeaux. Il témoigne aussi (déjà !) du souci des autorités de préserver la population et l’environnement des nuisances créées par ces activités.
Elisabeth Roux et Marie-Hélène Guillemet