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Jeanne Marguerite Blanc à Bordeaux (Archives privées)

Jeanne Marguerite Blanc à Bordeaux (Archives privées)

Au début de l’année 2020, notre association a reçu un message via notre blog. Jeanne Bellemin, habitante de Redondo Beach en Californie, était à la recherche de souvenirs liés à sa grand-mère Jeanne Marguerite Blanc qui fut élève et pensionnaire en 1890 au couvent du Bon Pasteur du Vigean. En effet, sa maman avait confié Jeanne Marguerite aux religieuses tandis qu’elle embarquait pour les Etats Unis. Elle espérait que ce pays lui offrirait une vie meilleure et qu’elle pourrait accueillir sa fille dans de bonnes conditions dès qu’elle serait installée. Jeanne Bellemin nous a donc transmis par écrit tout ce qu’elle connaissait de la vie de son arrière-grand-mère et de sa grand-mère : « Je ne sais pas quand mon arrière-grand-mère, Marie Blanc, est partie pour New York. Je pense que c’était à l’automne ou l’hiver 1889 ou peut-être en janvier 1890. La première lettre que ma grand-mère a écrit à sa mère était daté du 1er février. La dernière lettre était datée du 27 octobre… »

Jeanne Bellemin a accompagné ses souvenirs de divers documents :

-des lettres et des photos de sa grand-mère alors qu’elle était enfant,

-des photos de sa grand-mère lorsqu’elle était jeune-fille à New York avec sa maman, puis en famille avec son mari et son fils, le père de Jeanne Bellemin.

Munis de tous ces récits, nous avons cherché…Nous avions déjà rassemblé beaucoup de renseignements sur le couvent, alors nous avons consulté nos documents. Malheureusement pour 1890 il n’y a aucun relevé nominatif ! Nous avons poursuivi aux archives de Bordeaux Métropole et demandé de l’aide à l’association « Mémoire de Bordeaux » ainsi qu’au « Musée de l’histoire maritime de Bordeaux. »

Aujourd’hui, grâce aux récits de notre américaine, Jeanne Bellemin, et à l’aide précieuse de M. Bernadat, à la fois membre de Mémoire de Bordeaux et du Musée de l’histoire maritime de Bordeaux, nous sommes en mesure de vous raconter cette incroyable histoire : une petite fille de 9 ans, quittant le couvent du Vigean et son atmosphère sans doute pieuse et studieuse, pour embarquer seule sur un navire transatlantique et après dix ou quinze jours de traversée, retrouver enfin sa maman à New York , après peut-être une année de séparation!

Acte de naissance de Jeanne Marguerite Blanc (archives Bordeaux Métropole n° 1 E 320)

Acte de naissance de Jeanne Marguerite Blanc (archives Bordeaux Métropole n° 1 E 320)

Jeanne Marguerite Blanc nait à Bordeaux le 27 octobre 1881(archives Bordeaux Métropole n° 1 E 320 acte n° 1529). Sa mère, Marie Blanc a alors 20 ans, elle est domestique et habite 9 rue Jean Jacques Rousseau à Bordeaux. La déclaration de la naissance de Jeanne Marguerite est faite par la sage-femme et les deux témoins sont des employés de l’hôpital de Bordeaux. En marge de cet acte, il y a la reconnaissance par Marie Blanc et dans l’acte il est inscrit que le père n’est pas nommé.

Sur les états nominatifs de la rue Jean-Jacques Rousseau de 1881 et 1886, le nom de Marie Blanc n’apparait pas.

Lettre du 6 mars 1888 de L. Vignan (Archives privées)

Lettre du 6 mars 1888 de L. Vignan (Archives privées)

Lettre du 6 mars 1888 de L. Vignan (Archives privées)

Une lettre de recommandation écrite par L. Vignan le 6 mars 1888, indique « Marie Blanc est restée à mon service comme cuisinière pendant trois ans et je n’ai qu’à me louer de son service et de sa probité. En foi de quoi je lui ai délivré ce certificat. » L. Vignan habite alors 62 rue de la Devise.

A nouveau et malheureusement, sur les états nominatifs de la rue de la Devise de 1886 et 1891, le nom de Marie Blanc n’apparait pas…

Avant d’embarquer pour les Etats Unis et y chercher une vie meilleure, Marie Blanc confie sa fille à la supérieure du couvent du Vigean, sœur Marie de la Croix.

Le 1er février 1890, Jeanne Marguerite écrit à sa maman qui est à New York. Cette lettre d’une écriture malhabile par une main enfantine, égrène des mots tendres.

Les deux lettres écrites en février et en juillet 1890 par Jeanne Marguerite à sa maman (Archives privées)Les deux lettres écrites en février et en juillet 1890 par Jeanne Marguerite à sa maman (Archives privées)

Les deux lettres écrites en février et en juillet 1890 par Jeanne Marguerite à sa maman (Archives privées)

Presque cinq mois plus tard, le 23 juillet 1890, la lettre de Jeanne Marguerite à sa maman change de style et de forme : elle vouvoie sa maman et son écriture est régulière et maitrisée. Elle raconte ses progrès à l’école et dans les travaux ménagers. Elle dit aussi sa joie d’avoir reçu une photo de sa maman : « Je suis heureuse de vous voir, chère Maman…Votre photographie m’a fait un réel plaisir ; je vous ai bien reconnue, je ne pouvais me lasser de vous regarder. »

Un peu plus loin : « Je suis très bien, mes joues sont fraîches comme des roses, je suis toujours une petite espiègle. Je suis l’enfant choyée du couvent…Je suis déjà une bonne petite ménagère, je m’apprends à coudre et à raccommoder. » Sa signature est rédigée ainsi : « Votre petite chérie, Jeanne Blanc ».

Sœur Marie de la Croix poursuit la lettre de Jeanne. On apprend alors que Marie Blanc a des soucis pour payer la pension de Jeanne au couvent. Sœur Marie de la Croix demande aussi à Marie de prendre des dispositions pour Jeanne avant les vacances de Toussaint : « Le moment des vacances de Toussaint arrivant, nous nous voyons dans l’impossibilité de vous la garder au-delà vu que c’est aux vacances que nous comblons le nombre de nos pensionnaires. »

Depuis New York, Marie Blanc cherche sans doute le bateau qui pourra amener sa fille Jeanne, de Bordeaux à New York.

Le 27 octobre 1890, sœur Marie de la Croix écrit à Marie Blanc : « J’ai conduit moi-même avant-hier votre petite Jeanne qui se porte à merveille ; elle a été reçue par tous ces messieurs comme une petite princesse et placée, s’il vous plait, en première ; quand elle s’est vue dans ce beau salon, elle s’est tournée vers moi et m’a dit « Mais ma mère, ce n’est pas un bateau c’est une belle maison ». On m’avait beaucoup parlé en bien du maître d’hôtel ; j’ai tenu à le voir ; il aime les enfants parait-il à la folie et les soigne en rapport et m’a promis de s’en occuper d’une manière toute particulière ; enfin je suis restée plus d’une heure à bord. Emerveillée de son voyage et surtout d’aller vous voir, elle nous a quitté sans trop de chagrin… »

Lettre de sœur Marie de la Croix au couvent du Vigean à Marie Blanc à New York  (Archives privées)

Lettre de sœur Marie de la Croix au couvent du Vigean à Marie Blanc à New York (Archives privées)

Nos recherches pour identifier le bateau qui transporte Jeanne Marguerite de Bordeaux à New York ont été difficiles. Mais M. Bernadat nous a indiqué les bonnes pistes. Nous n’avons pas trouvé les listes de passagers ni celles des émigrés à New York. Mais la Petite Gironde indique chaque jour les arrivées et départs de bateau du port de Bordeaux. Cependant, le 25 octobre 1890 aucun bateau ne part pour New York ! Nous ne voyons pas cette petite Jeanne de 9 ans, embarquer sur un bateau à Bordeaux faisant route vers le Havre ou ailleurs, et changer de navire pour enfin partir en direction de New York. En continuant sur cette lancée, M. Bernadat nous indique que le vapeur Panama est arrivé à Bordeaux le 21 octobre et part pour New York le 2 novembre 1890. Nous pensons donc que Jeanne Marguerite embarque sur le Panama. Sœur Marie de la Croix est trop occupée le 31 octobre ou 1er novembre, en ces jours de vacances avant la Toussaint pour accompagner cette petite fille sur le bateau ! C’est donc le 25 octobre qu’elle confie Jeanne à l’équipage du Panama.

Un ami de M. Bernadat nous a donné des renseignements sur ce vapeur Panama :  ce navire n'appartenait pas à la Cie Bordelaise de Navigation, mais à la Compagnie d'Orbigny, une compagnie Rochelaise (dont, à l'époque, l'armateur était aussi le maire de La Rochelle). Cependant, à Bordeaux, le Panama n'apparaît jamais comme d'Orbigny ; il était donc vraisemblablement affrété par la Cie Bordelaise pour augmenter ses capacités. Ce navire a été construit en 1881 en Angleterre au chantier Osbone Graham, à Sunderland; il était immatriculé à La Rochelle. Il mesurait 84 mètres de long, et avait une capacité de transport de marchandises de 3 000 tonnes, animé par une machine à vapeur de 720 CV. Il a été désarmé à Bordeaux en 1902 et vendu à une compagnie russe.

 

Extrait de la Petite Gironde du 22 octobre 1890

Extrait de la Petite Gironde du 22 octobre 1890

C’est donc à bord d’un navire mixte que Jeanne Marguerite, petite fille de 9 ans non accompagnée mais confiée au maître d’hôtel, fait le voyage. L’équipage est composé de vingt-neuf personnes en tout, y compris le commandant, le maître d'hôtel et le cuisinier. C’est pour l’époque un équipage réduit qui laisse supposer à nos deux interlocuteurs que peu de passagers étaient admis à bord.

Par ailleurs, une traversée France-New-York se faisait en huit à quinze jours, selon les courants contraires ou favorables... Jeanne Marguerite retrouve sans doute sa maman entre le 10 et le 17 novembre à Ellis Island, un des ports de New York.

Jeanne Marguerite et sa maman Marie Blanc à New York (Archives privées)

Jeanne Marguerite et sa maman Marie Blanc à New York (Archives privées)

Jeanne B. nous a raconté la suite de la vie de sa grand-mère aux Etats Unis, laissons-la nous la décrire dans un français presque parfait : « Jeanne a grandi à New York et s’est mariée à Auguste Bellemin qui était aussi de France, d’un petit village près de Chambery nommé Les Bellemins! Je ne sais pas quand Jeanne Blanc a rencontré Auguste Bellemin.  Je pense que les deux se sont rencontrés dans le Quartier français de New York parce qu’ils y vivaient tous les deux. Auguste était tailleur et elle était couturière. Ils étaient mariés en 1908 et George Bellemin, mon père est né 16 janvier 1913. Dans les lettres que je vous donne, il y a une petite partie sur la façon dont Jeanne aime coudre et raccommoder des choses.

La famille Bellemin (Archives privées):  Georges bébé dans les bras de sa maman Jeanne Marguerite, à gauche Auguste, son épouse Jeanne Marguerite et leur fils Georges, à droite
La famille Bellemin (Archives privées):  Georges bébé dans les bras de sa maman Jeanne Marguerite, à gauche Auguste, son épouse Jeanne Marguerite et leur fils Georges, à droite

La famille Bellemin (Archives privées): Georges bébé dans les bras de sa maman Jeanne Marguerite, à gauche Auguste, son épouse Jeanne Marguerite et leur fils Georges, à droite

Je ne sais pas si ma grand-mère est déjà revenue à Bordeaux mais ils ont vécu en France pendant un certain temps. Finalement, ils ont déménagé dans une ville appelée Claremont en Californie. Je suis toujours propriétaire de la maison qu’ils ont construite là-bas, c’est là que j’ai grandi, mais maintenant je vis à Redondo Beach à Californie. »

A gauche, Georges Bellemin, le papa de Jeanne et fils de Jeanne Marguerite Blanc  et à droite, Jeanne Bellemin et sa maman, (Archives privées)
A gauche, Georges Bellemin, le papa de Jeanne et fils de Jeanne Marguerite Blanc  et à droite, Jeanne Bellemin et sa maman, (Archives privées)

A gauche, Georges Bellemin, le papa de Jeanne et fils de Jeanne Marguerite Blanc et à droite, Jeanne Bellemin et sa maman, (Archives privées)

Nous avons rencontré Jeanne B. le 9 septembre 2021 au Vigean. Elle était alors en classe de français à Bordeaux car son père dit-elle n’a pas eu la patience de lui apprendre notre langue !

Jeanne Bellemin au couvent en août 2021 et à Rotondo Beach à Noël 2021
Jeanne Bellemin au couvent en août 2021 et à Rotondo Beach à Noël 2021

Jeanne Bellemin au couvent en août 2021 et à Rotondo Beach à Noël 2021

Nous lui avons montré le couvent, après avoir obtenu l’autorisation de l’EPAHD pour entrer dans la cour et mieux visualiser les bâtiments et ainsi montré où a vécu Jeanne Blanc car les anciens bâtiments semblent avoir si peu changé !

Nous lui avons expliqué où était la salle de classe et la chapelle, mais n’avons pu lui affirmer si sa grand-mère habitait dans l’ancienne maison de maître ou dans les petits bâtiments construits en bord de route par M. Bach, père de la première institutrice Jeanne Maria avant que la propriété ne soit achetée par les religieuses. Nous avons aussi regardé tous ces bâtiments depuis la rue. Nous avons parcouru les rues du vieux Vigean avec les anciennes photos du début du XXème siècle pour que Jeanne Bellemin retrouve un peu de l’esprit de ce quartier où sa grand-mère a vécu en 1890.

 

Inscription sur la maison construite par Jeanne Marguerite Blanc et son mari Auguste Bellemin  à Claremont en Californie

Inscription sur la maison construite par Jeanne Marguerite Blanc et son mari Auguste Bellemin à Claremont en Californie

Toutes les photos ainsi que celles notées « Archives privées » sont interdites de reproduction.

La maison de Claremont et Jeanne Bellemin et ses deux enfants Alice et Andy devant la maison Bellemin.
La maison de Claremont et Jeanne Bellemin et ses deux enfants Alice et Andy devant la maison Bellemin.

La maison de Claremont et Jeanne Bellemin et ses deux enfants Alice et Andy devant la maison Bellemin.

Une belle rencontre partagée : d’un côté une petite-fille curieuse de mieux connaître la petite enfance de sa grand-mère sur notre vieux continent et en particulier cette année 1890 au Couvent d’Eysines, et de notre côté notre désir de resituer cet épisode familial dans le contexte plus large de l’histoire de notre ville, du port de Bordeaux grâce à d’autres personnes passionnées comme nous, par les siècles passés.

Un pont est-il né entre le Vigean et Claremont en Californie ?

 

Jeanne Bellemin et toute l’équipe des recherches de Connaissance d’Eysines.

Tag(s) : #Histoire
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