Introduction : Nous avons relevé le dossier « listes électorales du tribunal de commerce » n° 9 K1 aux archives municipales. Dans ce dossier, la première liste date de 1884 et la dernière est celle de l’année 1938. D’autres dossiers contiennent les années après 1938, mais nous ne les avons pas consultés, concentrant notre étude sur les documents les plus anciens. Ces listes nous donnent les noms des « patrons », les employés des commerces ou les ouvriers des artisans ne sont pas pris en compte. Les nombres que nous indiquons sont donc le nombre d’établissements à Eysines.
En 1920, trois catégories apparaissent, mais la première et la deuxième seulement sont présentes à Eysines. Nous ne savons pas vraiment ce que représentent ces catégories qui vont changer en 1925 puis en 1929 ! En 1925, nos artisans/commerçants ne sont plus forcément classés dans les mêmes catégories : exemple M Arquy, son et repasse de première passe en seconde, alors que M Aumailley, grain et fourrage, en seconde depuis 1920, reste en seconde. En 1929, les trois catégories sont présentes à Eysines.
Les pharmaciens ne sont électeurs du tribunal de commerce que jusqu’au départ de M Henry en 1921 ; M Vergnaud s’installe alors, mais ne fera jamais partie de ces électeurs ; les pharmaciens sont alors peut-être comptabilisés comme professions de santé et non plus comme commerçants…
Nous émettons des réserves cependant sur ces listes quant au nombre de nos commerçants et artisans. Effectivement le cordier Mourgues n’apparait sur les listes qu’en 1925 alors qu’il exerce depuis au moins 1895 ! Nous avons essayé de trouver pourquoi mais les textes des tribunaux de commerce sont à décrypter par des spécialistes du Droit, ce qui est au-dessus de nos compétences.
Le tribunal de commerce : En France, le tribunal de commerce est défini comme une juridiction de premier degré composée de juges élus et d’un greffier. Les juges sont des commerçants élus par leurs pairs pour 2 ans, le greffier est un officier public et ministériel. Le tribunal de commerce est chargé de régler les litiges entre commerçants et de gérer les procédures collectives. Il est parfois appelé « juridiction consulaire » pour des raisons historiques
En effet, la première juridiction consulaire a été créée à Lyon en 1419. Des juridictions similaires sont ensuite créées à Toulouse en 1549 et à Rouen en 1556. Un édit de 1563, inspiré par le chancelier Michel de l’Hospital, crée une juridiction consulaire à Paris et prévoit qu’il pourra en être créé chaque fois qu’une ville souhaitera en avoir une. Chaque juridiction consulaire se composait d’un juge et de quatre consuls élus (d’où le nom de « juridiction consulaire »). Elle connaissait les litiges entre marchands puis également, à partir de 1715, des faillites et des « banqueroutes simples » (non frauduleuses). La Révolution conserve le principe de ces juridictions, qui prennent alors, par la loi des 16 et 24 août 1790, le nom de Tribunaux de commerce, qu’elles ont gardé. Depuis cette date, cette juridiction a connu peu de réformes.
I/La situation en 1884.
Nous recensons alors 58 commerçants et artisans. Dominique Fort, marchand de bois paie une patente* depuis 40 ans, ce qui laisse supposer qu’il est établi depuis 1844. A l’inverse Emmanuel Durand, pharmacien, vient juste de s’installer ; tous les autres commerçants et artisans sont là en moyenne depuis plus de 13 ans.
*la patente est un ancien impôt direct annuel, auquel étaient assujettis les commerçants et artisans, remplacé aujourd'hui par la taxe professionnelle.
1/Les commerces alimentaires regroupent 7 aubergistes et 2 cafetiers. Les auberges sont établies depuis presque 20 années en moyenne ; l’auberge de Arnaud Gazillon à Laforêt est la plus ancienne (35 ans) et celle de François Argillos au Bourg n’a que 3 années d’existence. 2 cafés sont établis depuis 25 ans, un au Bourg et l’autre à Lescombes. Il y a aussi 5 épiciers, 6 boulangers, 1 boucher et 4 négociants en vins, 6 laitiers établis depuis 5 à 20 ans.
2/ D’autres activités : 3 marchands de bois, 1 marchand de meubles, 1 meunier, 1 marchand de chaux, 2 charrons, 1 forgeron, 1 maréchal ferrant, 1 chiffonnier et 1 pharmacien.
3/le bâtiment : 5 entrepreneurs de bâtisse, 3 charpentiers, 2 menuisiers, 1 serrurier, 1 plâtrier et 2 peintres.
II/L’évolution du nombre des artisans et commerçants
Pour mémoire, nous rappelons l’évolution de la population eysinaise :
Année | 1881 | 1886 | 1836 |
Habitants | 2 711 | 2 648 | 3 163 |
Le nombre d’établissements, tous les 5 ans, de 1884 à 1938 :
Années | Nombre d’établissements | Variation |
1884 | 58 |
|
1890 | 50 | -8 |
1895 | 48 | -2 |
1900 | 40 | -8 |
1905 | 52 | +12 |
1910 | 47 | -5 |
1914 | 51 | +4 |
1919 | 45 | -7 |
1924 | 34 | -11 |
1929 | 30 | -4 |
1934 | 18 | -12 |
1938 | 43 | +25 |
Nous remarquons que ces chiffres varient constamment ; l’année la plus « prospère » à Eysines semble être 1884 avec 58 établissements ! Et au contraire la plus « néfaste » 1934 avec seulement 18 artisans /commerçants patentés ! En 1938, le nombre revient dans la moyenne des années précédentes.
III/Les différents artisans et commerçants
1/Les restaurants et cafés appelés certaines fois « débitants » sont relativement nombreux et stables, entre 3 en 1900 et 9 en 1884, sauf bien sûr en 1934 où il n’y en a qu’un.
2/ Les commerces alimentaires : Les épiciers sont en nombre constant, en général 5, et sont répartis équitablement dans les quartiers ; certains restaurateurs sont aussi épiciers.
Les boulangers : en général ils sont 5, cela varie de 7 en 1914 à 3 dans les années 1920.
Les bouchers et charcutier : ils sont de 3 à 1, mais toujours un seul charcutier.
3/ Le nombre des laitiers est stable et important, une moyenne de 6 (10 de 1895 à 1905 à 3 de 1924 à 1934) ; le métier de laitier est décrit ainsi par les Eysinais : « Il y avait beaucoup de laitiers à Eysines, ils sont ramasseurs et vendeurs, ils n’ont pas de vaches ; chacun allait chercher le lait dans une ferme, puis livrait dans un quartier de Bordeaux ... » « … ils vendent aussi à leur domicile d’Eysines ; la tournée de vente est terminée vers 13/14 heures. Ils fabriquent du beurre avec une petite baratte (sans doute lorsqu’il reste du lait invendu) … » « à la même ferme ils prennent du fumier pour mettre dans leurs vignes. »
4/Les entreprises du bâtiment : les maisons se construisent régulièrement à Eysines, et les « entrepreneurs de bâtisses » sont souvent au moins 2, jusqu’à 5 en 1884 : les Sibassié au Vigean se succèdent de père en fils de 1864 à 1929, et M Arnaud, exerce au Bourg, de 1912 à 1935. Il n’y a pas de maçons désignés ainsi, mais 1 ou 2 plâtriers, des charpentiers (les plus connus étant la famille Guiraud), des menuisiers. Il y a un zingueur à partir de 1935.Les serruriers sont aussi forgerons quelque fois.
5/ D’autres activités :
Forgeron : M Malineau à Lescombes depuis 1850 est remplacé en 1894 par Emile Chapitreau jusqu’en 1919 puis son fils Ferdinand continue ; un autre forgeron est répertorié aussi certaines années.
Maréchal ferrant : M. Patou.
Charrons : M Guinet au Vigean de 1860 à 1898, puis Soucadauch Etienne de 1900 à 1907, puis sa veuve prend la suite jusqu’en 1926.
Sellier-bourrelier : M Laborde à Lescombes.
Tuilier : Jean Roux à La Forêt de 1880 à 1907.
Marchand de chaux : M Antoine à La Forêt de 1860 à 1896.
Son et repasse : (aliments pour le bétail) : 1 ou 2.
Cordonnier-chausseur : la famille Lafitte depuis 1894 à Lescombes.
Marchand de bois : M Fort au Bourg puis M Seguin au Vigean puis M Descombes à La Forêt
Marchand de meubles : M Delteil au Vigean de 1860 à 1914.
Tonnelier :M Joffre de 1925 à 1930 au Grand-Louis.
IV/Les « dynasties » eysinaises :
Les commerces ou les entreprises se transmettent au sein de la famille, tout comme les agriculteurs transmettent leur terre à leur fils ! Pour les précisions que nous apportons ci-dessous, nous avons consulté les états nominatifs, les états civils, etc…
1/Lorsque le patron décède son épouse reprend parfois l’établissement :
Madame Fourton prend la suite en 1904 et jusque pendant la guerre de 14, de son mari Louis, cafetier au Bourg, décédé en 1903.
Madame Dupin succède à son mari Pierre, restaurateur à Lescombes, de 1899 à 1926 ; son restaurant est appelé « chez Mathilde » !
Madame Pineau, débitante à Lescombes de 1914 à 1922 a succédé à son mari, restaurateur depuis 1890.
Madame Martin, au Grand Louis, succède à son mari, épicier de 1865 à 1900, jusqu’en 1932.
Madame Saux, à Chantilly, reprend l’affaire au décès de son mari Gaston en 1916 ; elle la transmet à son neveu Valmy Fourcet en 1927.
Madame Soucadauch, charron de 1907 à 1926.
Le boulanger Dubourdieu est au Bourg depuis 1870. Lorsqu’il décède vers 1910, son épouse part au Vigean et transmet la boulangerie à son fils Georges en 1923.
Et tant d’autres…
2/Mais ce sont aussi les fils qui succèdent à leur père. Le plus souvent le père travaille jusqu’à un âge avancé et le fils est déjà dans le métier depuis de longues années lorsque l’entreprise lui revient.
Les charpentiers Guiraud : le premier que nous trouvons à Eysines est Léonard (ou Bernard) né le 13 août 1759 ; un de ses 5 enfants, Epiphane, né le 19 janvier 1790, est lui aussi charpentier. Son fils Bernard, né en 1829, puis Pierre, né en 1861. Louis et Bernard prennent la suite…
Les cordiers Mourgues : François Mourgues né en 1828 est le premier à s’installer au Vigean ; son fils Jean, né en 1856, lui succède, puis Jean Albert né en 1884 (sa fille Marie épouse en 1918 le fils du cordier Anduran de Bordeaux).
L’entreprise de charronnage, située au Vigean, est successivement désignée sous les noms de Guinet ou Soucadauch ou Guinet-Soucadauch (nota : l’écriture adoptée pour Soucadauch est celle utilisée les dernières années ; en effet par jugement du tribunal de Bordeaux,en 1882, Soucadoche devient Soucadauch)
En 1861, Guillaume Soucadauch, né vers 1814 dans le Gers et Claude Guinet, né vers 1821 dans le Rhône, veuf, qui vit avec l’ex-épouse de Guillaume Soucadauch, travaillent dans la même entreprise.
En 1872, 3 charrons sont cités : Guillaume Soucadauch, Claude Guinet et Dominique Guinet, né en 1855, fils de Claude Guinet.
En 1891, il y a 4 charrons : les 2 pères Guillaume Soucadauch et Claude Guinet et leurs 2 fils Etienne Soucadouch, né vers 1859, et Dominique Guinet.
En 1911 et 1921, le nom de Marie Soucadauch , veuve d’Etienne décédé le 30 mars 1908, est noté avec celui de leur fils Guinet, né en 1888, et Dominique Guinet est toujours mentionné.
Les cordonniers-chausseurs Lafitte : sur les listes électorales du tribunal de commerce, sont mentionnés : de 1894 à 1922 Jean Lafitte sous les appellations successives de cordonnier, chausseur, fabricant de chaussures puis en 1923, Mme Lafitte veuve et de 1935 à 1938 Marcel Lafitte chausseur. (Marcel est un des trois fils des précédents, Jean et Marie Lafitte, tous deux originaires des Landes. L’aîné est Jean Raoul né en 1891 puis vient Marcel né en 1896 et enfin François (Georges) né en 1897. Tous les trois ont exercé le même métier mais seuls Marcel et Georges sont restés à Eysines développant dans leur atelier de Lescombes leur activité de chausseurs jusqu’à la fin des années 60. Ils fabriquaient alors des chaussures sur mesure, de grande qualité, voire de luxe, pour une clientèle bordelaise aisée.)
Conclusion : Au-delà des données statistiques concernant une période bien déterminée (1884-1938), les souvenirs des Eysinais, nous permettent de souligner la pérennité d’un grand nombre de ces activités jusque dans les années 60 voire 70. Malheureusement, il reste aujourd’hui bien peu de traces de cette vie artisanale et commerçante si intense !
Marie-Hélène Guillemet et Elisabeth Roux