La culture de la pomme de terre à la fin du XVIIIème siècle
Le premier témoignage de la culture des pommes de terre que nous ayons est celui de Pierre Duret dans son livre de raison. Est-il le premier à en planter à Eysines ? nous ne pouvons le savoir, puisque aucun autre témoignage écrit ne nous est parvenu, hormis le sien.
La famille Duret, issue du Fleix pratique le négoce aux Chartrons. Pierre Duret hérite de son père, Abraham Duret, du domaine de La Plane (château Lescombes) acquis par son grand-père, Benjamin Duret, en 1720. Le domaine est revendu par son fils Paul en 1812. Sur les terres, la vigne reste la culture principale. Cependant, le domaine est grand : terres situées autour du château mais aussi au Poujau, au Sesca, à Langlet ; il permet donc des cultures variées : céréales, fourrage, légumes, arbres fruitiers et arbres divers (acacias, châtaigniers, pins, chênes). Le bois sert ensuite sur le domaine pour réparer les charpentes de la métairie, des chais et pour faire des carassons pour les vignes.
Pierre Duret note le 31 août 1791 : « J’ai semé des patates dont je préfère la récolte à celle du tabac. J’en ai bien recueilli environ 20 boisseaux qui se trouvent de très bonne qualité. Je les ai cueillis l’année dernière que vers la fin septembre et elles ne durent rien, étant pleines d’eau. Cette année, je les ai cueillies de plus bonne heure ce qui m’a réussi. Il faut avoir soin de les ôter de la terre au commencement d’août et s’il est possible après plusieurs jours de chaleur, l’humidité les faisant germer dans la terre. Il faut aussi observer de ne pas les faire sécher au soleil. Il faut les porter au grenier en les sortant de terre devant sécher à l’ombre, mais on doit les remuer de temps en temps sans quoi elles se gâteraient, surtout étant trop en pile. »
En 1794 : « la mauvaise récolte de 1793 soit en bled, légumes, bled d’Espagne que patates, les vives chaleurs ayant tout détruit…J’ai semé dans mon bien environ 8 boisseaux de patates… »
En 1806 : « …J’ai fait demie partie du défrichement du bois taillis du Poujau en patates à moitié …. Les patates mises en février dans la terre de défrichement de la garenne n’ont nullement souffert des fortes pluies et permettent une belle récolte ce qui est heureux. La majeure partie de celles qui avaient été semées dans les terres trop fraîches ainsi que dans les marais étant entièrement perdues. Les miennes ont déjà reçus deux façons par les femmes qui les ont semées à moitié. Récolte de 50 boisseaux dont 25 pour moi »
La culture de la pomme de terre jusqu’au milieu du XXème siècle
Nous nous appuyons ici sur les souvenirs de nos maraîchers au sujet de la culture réalisée par leurs parents et grands-parents.
« Les pommes de terre primeurs ont germé dans le grenier (variétés : Early Rose, puis Sirtema) ; elles sont plantées vers le 2 février, entre les rangs de vignes ; au Grand Caillou ce sont de bons terrains en « grave minière » où les pierres sont relativement abondantes ce qui permet à la terre de chauffer. Les pommes de terre de conservation sont plantées en mars, dans le Marais. »
Culture des pommes de terre primeurs : « On creusait un sillon profond (cheval et charrue) qui recevait le fumier de bovin servant à fertiliser la pomme de terre et la vigne en même temps puis il était recouvert d'une couche de terre (à l'aide d'un tire cavaillon) sur laquelle on déposait le plant de pomme de terre avant de le recouvrir à son tour manuellement, le cheval ne pouvant plus passer.
Ces terrains n'étant pas irrigués, le risque d'un printemps trop sec pouvait compromettre sérieusement la récolte que l'on pouvait espérer à partir de début mai. Mais, le plus souvent, on commençait à arracher ces pommes de terre à partir du 15 mai.
La récolte manuelle se faisait à l’aide d’un trident (qui en réalité a quatre dents), très précoce elle ne nécessitait pas forcément de traitements anti mildiou.
Culture des pommes de terre de conservation : Dans les terrains des marais plus froids et humides, les premières plantations, si le temps le permettait, pouvaient commencer à partir de la mi-mars. On étendait le fumier sur toute la surface, en faisant d'abord des tas de loin en loin transportés à l'aide d'un tombereau tiré par le cheval ou même à la brouette. On l'émiettait par la suite à l'aide d'une fourche à quatre brins. Certains maraîchers ajoutaient aussi de la plume de canard (qui venait du Gers jusqu’à la gare) à enfouir avec le fumier, ce qui avait pour but, après décomposition, d'enrichir le sol en phosphate.
Ensuite, on labourait avec cheval et charrue en faisant tomber à chaque passage avec un trident le fumier et la plume dans le fond du trou, et, en même temps, on aplanissait la surface à l'aide d'un râteau.
Par la suite, on traçait des rangs avec un cordeau à soixante-dix centimètres de distance pour marquer le sol d'un petit trou à intervalles réguliers avec la hique et on y disposait le plant de pomme de terre (variétés : Belle de Fontenay, Bintje, Spunta, BEA). On recouvrait ensuite par un passage avec le cheval attelé d'une charrue munie d'un butteur. On pouvait aussi mettre une poignée d’engrais (acheté à Saint Médard), entre chaque plant.
Dès la sortie de terre des premières tiges, on passait le râteau pour éliminer les herbes. Ensuite, on effectuait une ou deux façons à l'aide d'une raclette à pousser ou retourner (binage). Enfin, on terminait par un buttage avec le cheval et la charrue munie d'un butteur.
Si tout se passait normalement : pas de gelée, pas d'orage avec de la grêle, on pouvait commencer à récolter trois mois plus tard.
Pour cultiver un hectare de pommes de terre, il fallait deux tonnes de semences. On pouvait compter dix à quinze fois plus pour la récolte.
Les pommes de terre qu’on arrachait étaient mises en sacots. On les lavait, nouvelles elles étaient jolies, on les vendait ainsi quasiment pelées. »
Au milieu du XXème siècle, durant une période intermédiaire, le motoculteur a remplacé le cheval pour assurer à peu près les mêmes tâches. Les principales variétés cultivées étaient à ce moment-là : la sirtema, la bea, la spunta, toujours cultivées actuellement.
La culture de la pomme de terre depuis les années 1960-1980
Nos maraîchers nous racontent aussi l’évolution de la culture qui se poursuit aujourd’hui pour la plus grande satisfaction des consommateurs que nous sommes tous.
« Les cultures de graves ont été abandonnées, en conservant cependant, dans un premier temps, des parcelles de vignes dont le vin servait à la consommation personnelle des familles. D'autres parcelles, raccordées au réseau d'eau potable, produisent encore.
Les exploitations se sont équipées très rapidement de tracteurs qui multipliaient la vitesse de tous les travaux tant et si bien que la moindre parcelle était exploitée. Il manquait même de terre disponible et les exploitations sont passées de deux ou trois hectares à dix, quinze ou plus.
Avec le tracteur, la préparation du sol au printemps pouvait commencer par un passage de rotavator destiné à broyer les herbes d'hiver avant de les enfouir par le labour. On étendait les engrais complexes granulés (plus de fumier trop lourd à mettre en place, trop coûteux) soit à la main, soit avec un épandeur attelé au tracteur.
Puis suivait la plantation des pommes de terre, toujours avec le tracteur équipé de planteuses qui creusaient un sillon et une personne assise sur chaque planteuse déposait dans un conduit le plant de pomme de terre qui était recouvert aussitôt par des disques rotatifs. Il pouvait y avoir deux ou quatre planteuses.
Au stade très jeune ou même avant la sortie de terre, on passait avec le plus petit tracteur à roues étroites une herse articulée dans le but d'aérer le sol et de détruire les mauvaises herbes.
En cours de culture, plusieurs passages s'imposaient avec des outils multiples fixés sur une barre porte-outils, soit des rasettes, des coutres, pour détruire les buttes et les reformer aussitôt en remplacement du binage manuel avec toujours en dernier un buttage. Dans le même temps, un apport complémentaire d 'engrais granulés se faisait.
L'accompagnement sanitaire a lui aussi évolué : traitements anti mildiou avec des nouveaux produits anti doryphores, désherbants…
La récolte totalement manuelle auparavant s'est elle aussi mécanisée avec des arracheuses à multiples tapis qui enlevaient les fanes, tamisaient la terre pour finalement récupérer les pommes de terre ou en sac ou en vrac. Elles étaient ensuite chargées sur le camion ou dans une remorque pour être transportées vers le lavage et le conditionnement. »
La culture de la pomme de terre occupe encore, à Eysines, de nombreux maraîchers. La récolte de notre pomme de terre primeur de variété Sirtema est célébrée par la « Confrérie de la pomme de terre »et, chaque année au mois de juin, se déroule la « Fête de la patate».
Marie-Hélène Guillemet et Elisabeth Roux